Un
séjour à la campagne, chez des amis. Dans une sorte de bâtiment élaboré sur un terrain très en pente, où, d'un côté la maison n'a qu'un étage tandis que de l'autre, elle en a facilement deux, plus un entresol. Elle est construite sur l'axe est-ouest, avec, vers l'aval, une descente précipitée dans une prairie un peu sauvage, orientée à l'ouest. -------------------------------- |
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Une
fin d'été, avec sa chaleur douce le soir… Mes
amis n'ont que des surprises à me faire partager parmi leurs
disques et leurs livres. Leurs enfants comme les miens sont en
vacances sans eux, sans moi. Les soirées sont longues et les
matinées grasses. La nuit est belle et étoilée.
Par la grande baie donnant sur la partie descendante du terrain,
seules des silhouettes d'arbres sont visibles.
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La lumière des étoiles
et de la lune montante ne rivalise pas avec celle, électrique,
de la salle où nous sommes. Je suis tout à fait
détendu. Je laisse mon regard se perdre dans ce paysage obscur
fait de contours de collines et de ciel d’été. Je
ne pense à rien, je suis bien. Je distingue au-dessus de la
prairie une sorte de lueur. Suivant mon vagabondage mental, je
m’approche de la grande fenêtre ouverte pour examiner
cette lumière vaguement rectangulaire. Je pense que c’est
un reflet (sur quoi ?) qui vient de la maison. Je demande à
mes amis si je peux, pour un instant, couper tous les éclairages
de la maison. Mes amis, surpris, mais me laissant à mes
lubies, acceptent. A ma grande surprise, la lueur est toujours là,
pas vraiment plus éclatante face à l’obscurité
de la maison. Je rallume la lumière, mes compagnons
contemplent négligemment l’objet de mes préoccupations
puis retournent à leurs jeux. Je décide de sortir pour
découvrir l’origine de ce phénomène.
Dehors, il n’y pas d’autres bâtiments visibles
autour de la maison. Il y a juste les étoiles ; c’est
une nuit sans lune. Je me dirige vers le rectangle de lumière
mais après cinq pas, il disparaît pour ne réapparaître
qu’à l’instant où je fais demi-tour. Cela
doit être un phénomène analogue aux mirages. Je
me dis ça, bien que je ne connaisse pas vraiment le
fonctionnement des mirages. La lumière des étoiles
pourrait-elle être suffisante pour provoquer ce phénomène ?
Ça m’étonnerait. Cela ressemble à une
projection holographique. Mais qui aurait planqué un
appareillage aussi compliqué, en pleine nature, pour faire
apparaître un vague rectangle à des kilomètres de
toute autre habitation. J’essaie à nouveau de m’en
approcher et, à nouveau, il disparaît. Il y a parmi les
invités, un géomorphologue, Christophe. J’insiste
auprès de lui pour qu’il s’intéresse avec
moi à ce phénomène, là, par la fenêtre.
Il n’a pas envie de parler boulot, alors qu’il est en
vacances. Je fais appel à toute ma capacité de
persuasion, à tout l’intérêt que pourrait
avoir pour lui ce phénomène. Il se décide à
aller fouiller dans ses vieux documents en me répétant
que, pour qu’un relevé topologique soit possible, il
faut deux objets, un viseur et une cible et que dans le cas qui me
préoccupait, la cible n’était qu’un vague
effet lumineux, un mirage. Sans substance ; ou alors par
triangulation, en utilisant un point fixe dans le ciel mais la
position du machin, à tout casser, à une douzaine de
mètres de la fenêtre, ne me permettrait pas d’obtenir
la précision que je semblais attendre. Il me donne, en vrac,
des anciens cours en me laissant le soin d’essayer d’y
comprendre quelque chose et en me promettant de répondre à
toutes mes questions, dans la mesure où il se souvenait des
cours. Je me plonge dans le déchiffrage de ces photocopies,
persuadé que je trouverai là les réponses et que
je serai tout à fait capable de m’y retrouver dans cette
science dont j’ignorais à peu près tout. Deux
heures plus tard, je dus admettre que j’étais loin
d’être le génie universel que j’imaginais. Je
décide de chercher une solution de rechange empirique,
bricolée, pour réussir à déterminer
l’emplacement le plus exact possible de cette apparition par
rapport à un point fixe, au sol. Le lendemain, Alain, mon
frère, vient nous rendre visite. Je lui parle de cette lumière
flottante et de cette curiosité m’obsédant de
plus en plus à son sujet. Je connais Alain et je sais qu’il
ne va pas tarder à contracter le même virus. En effet,
le soir venu, nous voilà à la recherche d’une
grande perche et d’un piquet de tente. La méthode
consistera en ce que l’un de nous se déplace avec le
grand bout de bois en le tenant le plus vertical possible, dans le
champ autour de la lueur et, suivant les instructions de l’autre,
resté à la fenêtre, superpose le plus exactement
possible, la partie supérieure de la perche et la lueur. Là,
qu’il plante à son pied le piquet. J’obtiens des
autres invités, avec un peu de difficulté, qu’ils
acceptent de rester quelques instants dans l’obscurité,
le temps de localiser l’endroit.
C’est Alain qui s’y colle. Il se déplace comme il peut, dans le noir, sur le terrain très en pente, encombré de sa grande perche. Un des problèmes fondamentaux, c’est que je ne le vois pas ni lui ni la perche. Je crois entrapercevoir l’extrémité de celle ci, de temps à autre, sans que je puisse donner à Alain d’indication utile puisque j’ignore où il se trouve. A gauche ? A droite ? Devant ? Derrière ?… Et comme de plus, il ne voit pas où il se déplace, il a de grosses difficultés, il tombe régulièrement, s’emmêle dans les ronces, et hurle des jurons. Je décide de rallumer la lumière, au grand soulagement des personnes présentes. Ça ne gène pas du tout la vision du carré de lumière par la fenêtre mais ça n’aide pas du tout Alain dans ses errances. Il décide de revenir, un peu en colère, ses vêtements un peu déchirés. Il n’accepte de repartir qu’équipé de solides chaussures et non d’espadrilles et armé d’une lampe électrique. La lampe qui ne perturbe pas la vision du mirage, aide considérablement Alain à se déplacer et, de plus, me permet de distinguer ses déplacements. En effet, rapidement l’endroit est localisé et le piquet de tente, planté. Le lendemain, à proximité du piquet, je trouve une petite couverture de landau. Que fait-elle là ? Y a-t-il un rapport entre cet objet et la lueur ? J’emporte perplexe la couverture pendant qu’Alain récupère le piquet de sa tente. A sa grande surprise, il n’y parvient pas. Il tire de toutes ses forces, va chercher une pince pour mieux le saisir mais rien n’y fait. Pris d’une idée un peu folle, mais pas plus que toute cette histoire, je ramène la couverture près du piquet. Et sans forcer, je l’arrache du sol dans lequel, jusqu’à présent, il semblait scellé. Poursuivant mon idée, je replante le piquet et j’éloigne la couverture. Je reviens tenter de le retirer et à nouveau, il est, de nouveau très solidement retenu par le sol. Je rapproche la couverture et le piquet se retire sans difficulté. Je décide alors que le propriétaire de cet ornement de couffin s’appellera Arthur, l’analogie est trop évidente. Le soir venu, la lueur s’est considérablement affaiblie. Emporté par ma folie, je pense même qu’elle finira par disparaître. Mais le lendemain puis les jours suivants, elle retrouve tout son éclat. Il était nécessaire de faire une peinture de la couverture d’Arthur. |