Jean-Luc
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Je l'ai rencontré
au lycée. En fin de classe de première, nous avions seize ans, bientôt l'été. Empli d'envies et de tourments, j'ai fait des fêtes avec lui. J'ai surtout fait des fêtes avec lui pendant ma terminale. J'ai raté mon bac. Depuis qu’il a douze ans. Jean-Luc est un fêtard, un insatiable gourmand. Toutes les drogues, toutes les expériences sexuelles, avec des femmes, des hommes, en couples ou en groupes plus nombreux. Tout lui est est bon pour s’allumer la tronche. Jean-Luc est intelligent. Jamais, il ne tourna |
junkie.
Et puis l'héro, la morphine ou
l'alcool systématique, ça va cinq minutes, ça
endort et ça rend impuissant : pas drôle ! Il use de son
cerveau comme il use de sa bite.
Des fêtes avec lui. Si je l'ai souvent accompagné dans l'aspect chimique de ses divertissements, j'avais la libido bien trop tourmentée pour le suivre dans ses jeux érotiques multiples, insatiables et imaginatifs. Je le regardais vivre avec envie. Avec l'envie d'être comme lui ? Amoureusement ? Didier et Jean-Marie. Jean-Luc est souvent accompagné de deux grands ados braillards. Baiseurs infatigables et cons comme des valises. Comme tout le monde, ils sont fascinés par Jean-Luc. Jean-Luc. «Ce sont des tanches, je te dit ! Mais des petits culs de rêve et ils savent faire les pipes comme de vrais grands garçons» Pour la musique. Ces deux là ne jurent que par «Statu Quo», groupe de rock qui porte bien son nom - pas original, pas dérangeant – trois chevelus grateux qui se secouent parallèlement et en cadence sur des riffs qu'ils tournent inlassablement sur une batterie-métronome. La tête dans le moteur. Jean-Luc les regarde parfois amusé et gourmand. Ils consomment tout ce qu'ils trouvent : du shit, de l'herbe, de l'opium, du vin, de la cocaïne, du LSD, de la bière, du speed, de l'héroïne, du rhum, de la psylo... Chez Sophie. Vivant chez ses parents, riches, bourgeois et souvent absents, il y a un bar très complet et toujours renouvelé. Il y a y trois étages, des salles de bains parfumés, des baignoires, des chambres partout, des escaliers. Une autre fête improvisée, du monde partout, tous les produits toxiques et illicites possibles. Disponibles. La musique à fond. Jean-Marie et Didier, saouls perdus, dévalent les escaliers, à poil et en braillant «Be bop alula», un casque intégral sur la tête, vers la pièce du sous-sol, là où il y a la chaîne. Ils avaient disparus ceux là. Eux et quelques autres, des filles et des garçons dont Jean-Luc. L'envie d'explorer cette grande bâtisse ? La tête pleine d'ambiguïtés, faussement innocent, comme un promeneur louche qui, les mains dans les poches, passe plusieurs fois de suite devant l'entrée de la banque, me voilà parti dans les étages. Il y en a trois ; un ascenseur privé ; le grand jardin qui va avec, entouré de murs interdisant toutes les intrusions, tous les regards, dans le centre de cette vielle ville. Partout, de la moquette. Des sous-vêtement abandonnés un peu partout, des rires, des chuchotements. Et puis, une fille toute nue qui sort d'une chambre. C'est Sophie, un peu gênée qui court vers une salle de bain. Sophie. Sophie est mon amie, elle le restera longtemps. Intelligente et brillante, elle sera l'année suivante, deuxième au concours général de philosophie. La fierté de ses parents, la fierté du lycée. Avec elle, je discute politique, je refais le monde, je fais de l'expression corporelle, nous parlons de nos chagrins d'amour. Jean-Luc. «Laurence se souviendra de son dépucelage ; dans l'escalier ! On n’a même pas pris le temps d'aller sur un lit ! Elle va avoir le dos tout en zigzag, avec des marques de bagnard. En tous cas, elle avait l'air contente.». Laurence s'est ensuite offerte à Jean-Marie, puis à Didier, puis à nouveau à Jean-Luc, à un autre mec dont j'ai oublié le nom. Puis à Sophie, qui avait aussi fait le tour de tous les garçons. C'est Sophie qui, dans un discours sur la découverte de soi par les voies de la sensualité et de l'excès, me racontera tout ça, un peu plus tard. Laurence. J’étais vaguement amoureux d'elle, à l'époque. Lorsque je me suis déclaré, une semaine plus tôt, rougissant et bafouillant, elle m'a rembarré doucement, gentiment. Je la pensais amoureuse en secret d'un autre. Nimbée de romantisme et d'Amour courtois... Que fait on cette après-midi ? On boit. Je n'ai pas envie d'aller en cours, Pépé (le surnom de Jean-Luc) non plus. Rien à fumer, et merde. Aux caisses du Monoprix, il y a des flash de rhum, de whisky, de kirsch fantaisie. Chacun le sien, payé sous le regard assassin de la caissière, on sort et on le boit, vite, parce qu'on aime pas ça, pour être vite bourrés et vite, faire les cons. Il y a un vieux piano dans le foyer des élèves. Bon atterrissage parce qu'il pleut. Jean-Luc aux aigus et moi aux graves. Musique bruitiste ou répétitive, accords plaqués, poèmes improvisés, hurlés ou chuchotés à deux voix. Discours grandiloquents debout sur une table, accompagnés par un pianiste saoul qui ne sait pas jouer. La Saint Sylvestre de mes 17 ans, dans l'appartement de ma mère absente. Il y a là Sophie, Myrtille, Pépé, Didier, Jean-Marie, Laurence, le mec dont j'ai oublié le nom, Annabelle, Denis, Philippe (un copain plutôt sobre, habitant une autre ville, pas vu depuis un an et dont j'avais été l'amoureux malheureux de la soeur, invité improvisé donc, que j'espérais voir choqué, au moins impressionné, par le comportement dépravé de mes nouveaux copains en souhaitant perversement qu'il rapporte à sa soeur, tout ce qu'il aurait vu...). Philippe. Complètement cassé, très vite, à l'alcool, au haschich. Très vite également, ma chambre et mon lit sont squattées par Jean-Luc, Myrtille, Sophie, Jean-Marie, Didier et Laurence qui commencent à s'amuser. Quelques uns sur le lit, d'autres à côté, d'autres dans le couloir, sur le tapis. Jean-Luc, à poil et en érection fait le chef d'orchestre. Philippe débarque dans la chambre, fait demi-tour un peu ahuri et retourne se verser une vodka. Puis il va sur le balcon et se met à hurler : «Les flics sont des pauvres cons ! Je leur chie sur la gueule !!...», puis vingt minutes de haine du même genre éructée contre la police (?). Il rentre, il tombe, il s'endort. Annabelle. La tant belle Annabelle. Le mec dont j'ai oublié le nom est parti vers une autre fête, Denis, complètement défoncé, après avoir pu enfin écouter «Gong» et «Rock Bottom» de Robert Wyatt, une fois la chaîne libéré de «Statu Quo», s'est endormi. Laurence est venue à cette fête avec sa grande copine du moment : Annabelle. Annabelle, je la connais depuis deux ans. Elle a toujours cet air égaré, à se chercher partout, je ne l'ai jamais vu avec la même dégaine. Mais toujours en «cache pot», invisible, incognito. Là, elle est en vêtements militaires détournés et trop grands. Et elle fume la pipe. Beark. Abandonnée par Laurence, toute à ses expériences, elle s'ennuie en écoutant vaguement «Genesis». D'entendre le vacarme que font les autres, à côté dans ma chambre, ça m'émoustille quand même. Je m'approche d'elle et je lui passe la main dans les cheveux. Rapidement, des pelles se roulent et des mains se promènent, des lèvres douces. Un corps contre le mien, des cheveux qui s'emmêlent, c'est chaud, c'est bien. Dans ce chaste câlin, nous nous laissons couler dans un sommeil entrelacé. A la fin des vacances de Noël, au premier jour de lycée, j'ai joué le mec blasé, oublieux de ses conquêtes, je lui ai fait une vague bise alors qu'elle m'envoyait des sourires radieux et appuyés. Je n'ai vu que trop tard à quel point, de ce jour, Annabelle est devenue magnifique. Elle a commencé par regarder son corps puis celui des autres, elle s'est habillée différemment et s'est retrouvé rapidement entourée d'une meute de soupirants. Moi, je n'en faisais pas partie, trop fier, trop compliqué, stupide. Myrtille. Myrtille est mon amie, elle l'est toujours. Avec elle, je discute politique, je refais le monde, je fais de l'expression corporelle, nous parlons de nos chagrins d'amour. J'en ai beaucoup, elle aussi. Sa vie sexuelle est plutôt débordante alors que je mijote dans un pucelage d'autocuiseur. Il y a cette équipe : Jean-Luc, Didier, Jean-Marie, Laurence, Sophie et quelques autres que je ne connaîtrai pas. Et il y a d'autres bandes, d'autres amants. Elle est pourtant souvent malheureuse, amoureuse de celui qu'elle n'a pas, justement. De malheurs en chagrins, elle tombera finalement amoureuse de Jean-Luc. Elle a souffert par d'autres hommes de relations impossibles ou finissantes, elle en a pleuré beaucoup, sans jamais pour autant délaisser ses amitiés partouzeuses et ses amants divers. Alors, amoureuse de Jean-Luc ? Avec qui elle avait déjà échangé tous les fluides possibles depuis presque un an ? «Et bien oui, quand je suis seule, je pense à lui, quand je baise avec un autre, c'est à lui que je pense, quand je baise avec lui, je le veux dans ma chambre, je le veux dans mon lit, rien que nous deux, sans personne à côté, sans personne ni avant, ni après. C'est lui que j'aime». Elle ira se déclarer à lui, il la suivra dans cette nouvelle expérience, pour voir. Il aimera ça. Myrtille est heureuse. Pour quelques temps. «Ce mec est incroyable : il ne débande pas ! Les hommes, en général, bon, ils éjaculent et puis ça met plus ou moins de temps à se remettre en route, mais lui, non. Quand c'est fini, ça recommence. Tout de suite ! Et puis, précis, attentif, délicat... Non seulement je l'aime mais c'est le meilleurs coup que j'ai jamais rencontré !». J'ai retrouvé, au cours de mon dernier déménagement, ce vieux tee-shirt laissé par lui à ma Saint Sylvestre et emmené d'appartement en appartement, sans doute par habitude (!?) J'ai été surpris de l'avoir encore dans mes affaires et c'est lui qui m'a servi pour faire cette peinture. Pissbout. de grandes lunettes recouvertes par des mèches de cheveux blonds foncés, jolie, une beauté anguleuse, des vêtements trop grands, des foulards, des bijoux, un parfum brut, musc, santal ou patchouli, un sourire malicieux et vorace. Jean-Luc est amoureux. Jean-Luc attend Pissbout à la sortie de ses cours, Il va l'entraîner dans l'église Saint-André, pas loin du lycée, fumer des pétards. Il y a là des orgues mal surveillées par un sacristain souvent absent, Jean-Luc improvise à l'orgue et chante. Puis aller boire des coups, faire claquer le flipper puis laisser, grand prince, des parties au compteur, passer gratos au cinéma, négliger un film débile, cunnilinctus et fellation au dernier rang. La nuit, se balader dans des jardins, brailler, inventer des chansons à plusieurs voix, s'attraper sans prévenir et copuler sur la pelouse, jouer de tous ses orifices, fumer des joints, transformer une poubelle en instrument de musique, s'inviter dans une fête, prendre un acide, piller le buffet et le bar, écraser une part de tarte aux fraises sur la figure de l'autre, lécher, trouver une chambre, une salle de bain, finir de se lécher, de se sucer, se re-déshabiller, copuler, picoler, vomir, prendre un bain, copuler, se rhabiller, se faire virer, rigoler, retourner dans le jardin public, le parc Léo Lagrange en passant avant par la station service ouverte toute la nuit et où on vend de la Jenlain, boire, s'écrouler sur la pelouse, ronfler. Jean-Luc a un chagrin d'amour. Pissbout part voir sa grand-mère à la campagne pendant une semaine, à son retour au lycée, Jean-Luc, tout joyeux, l'entraîne dans un débarras, la déshabille, l'embrasse partout, la prend au milieu des balais, Jean-Luc lui dit combien cette semaine a été longue, loin d'elle, il lui raconte en riant et en se rhabillant, ses expériences sexuelles variées pendant cette semaine, avec des hommes et des femmes de tous âges, Pissbout est fâchée, elle pleure, elle lui dit qu'elle ne veut plus le voir, Jean-Luc lui dit qu'elle est con, elle part, Jean-Luc a du chagrin. L’idéal masculin «non-officiel» des féministes de cette époque et de cette ville. Jean-Luc respecte les femmes, il respecte les hommes aussi. Jean-Luc est très respectueux. Simplement, il vois n'importe quel être humain, lui-même inclus, comme objet. Objet de jouissances potentielles, jouissances physiques, bien sûr, et d'autres aussi, jouissances artistiques, rigolardes, sentimentales... La femme objet donc, sans doute, puisque l'homme objet, l'objet Jean-Luc, l'objet «d'en face», cet objet qui lui ressemble, avec lequel il a envie de jouer. Se masturber tout seul, oui, c'est pas mal ; se faire branler, branler, téter, lécher les autres, c'est autrement varié. Jouer de la trompette, aller dans les bois, fabriquer des cabanes ou des sculptures infra-humaines, pré-paléolithiques, on fait pas ça tout seul. «L'objet de consommation», celui là ne le concerne pas, il le boit, il le fume, il le bouffe, voilà. Je t'aime, tu m'aime : et pourquoi pas, si ça le fait bander. L'amour à deux, à trois, à cinq, à huit, à dix ; l'amour à la papa, toutes les fenêtres ouvertes, avec des feux d'artifices, tirés sur le trottoir. Jean-Luc se marie. Quinze ans ont passé, une fête dans les bois, autour d'un gîte rural, Myrtille m'a invité, Jean-Luc est là aussi, rayonnant, avec sa cours, avec sa femme, avec ses gosses : deux garçons. Jean-Luc est un papa gâteau, Jean-Luc me croise, il me regarde avec ce même air malicieux d'il y a dix ans, il me dit bonjour mais n'a pas vraiment de curiosité sur mon devenir, il me propose un joint, il a trouvé une place d'aide-comptable pour gagner sa vie, pourquoi gaspiller plus d’énergie ? Père de famille ? Oh oui ! Avoir des gosses, ça défonce comme pas possible. Un flash terrible ! Et qui dure, en plus. Amoureux de sa femme, amoureuse également, qui partage avec lui ses jeux érotiques multiples. La plupart des maitresses et amants que j'ai pu connaître, ne sont plus les mêmes. Ils se sont lassés. Responsable et mature, il devient attentif à sa santé, il a des responsabilités, c'est un père exemplaire. Jean-Marie et Didier sont là aussi, vieilli et plutôt délabrés. Célibataires avec du bide. |