jules-cesar

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(Eros en pleine forme . le fils)
Jules-César

Une soirée très agitée et très salissante d’Emilie, baby sitter dévouée, telle qu’elle m’a été rapportée par une de ses amies, Myriam.

Emilie, âgée de dix-sept ans, avait accepté, ce vendredi soir, de s’occuper de Jules-César, deux ans et demi. La mère qui vivait seule avec son enfant, souhaitait aller au cinéma avec un collègue de bureau. Quand elle fut sur le point de partir, après avoir fait de nombreuses recommandations à Emilie, Jules-César lui sauta au cou sans un mot, avec les yeux humides, une expression de reproche muet, un air de martyr résigné à son sort de condamné et d’abandonné. Sa mère avait dû longuement lui parler, le préparer à cette sortie, à cette séparation. C’était sans doute pour ça qu’il était si silencieux et solennel. La mère, submergée de honte, refit à nouveau les mêmes recommandations à Emilie et partit, déchirée. 
Jules-César était prostré, par terre, dans un coin de la pièce. Emilie riait intérieurement, tout en prenant la mine de circonstance, sûre d’elle, souriante, rassurante. Elle avait vécu ce genre de scène de séparation «traumatisante» plusieurs fois déjà. Elle se dirigea vers la cuisine pour préparer leur repas en laissant Jules-César seul dans la pièce d’à côté, afin qu’il s’habitue à cette nouvelle situation. Elle lui parlait de temps en temps, d’une voix douce, assurée, légère. Elle entendait de petits bruits de mouvements à côté mais Jules-César ne lui répondait pas.
Un hurlement.
Pas un cri de frayeur ou de douleur, un cri de colère et de rage et un mot :
«méchante !»
Elle se précipita vers le séjour où se trouvait le gamin. Il avait étalé le contenu de la boite de nourriture pour poisson rouge sur le tapis et renversé le petit aquarium ; le poisson sorti de l’eau bondissait au milieu et Jules-César, déculotté, faisait pipi sur l’ensemble. Il se mit à pousser des petits cris accompagnés d’éclats de rire en piétinant le tout. Emilie se rua d’abord sur le poisson pour le remettre dans un bocal puis essaya d’attraper Jules-César, hilare, recouvert de bouffe à poisson et de pipi. Elle décida de le gronder. Celui-ci se mit à sangloter, elle le prit dans ses bras, il se serra bien fort contre elle, commença aussitôt à gazouiller, s’accrocha de tout son poids à ses vêtements en se dégageant à coups de pied, déchirant au passage l’épaule de son chemisier. Emilie se dit que la soirée n’allait pas se passer telle qu’elle l’avait imaginée, telle qu’elle l’aurait souhaitée. Après l’avoir changé, elle l’installa dans la cuisine, assis devant son dîner, en ayant surélevé tout ce qui semblait dangereux ou tentant. Jules-César semblait s’être calmé et accueillir avec enthousiasme le repas qu’Emilie lui avait préparé. Dans le salon, elle essaya de nettoyer le plus gros du désastre, elle passa l’aspirateur, roula le tapis dont le pressing était devenu l’ultime chance. Elle n’entendait, venant de la cuisine, que des gloussements de satisfaction, et des petites chansons très calmes. Elle pensa que le coup de folie précédant le dîner n’était qu’un énervement dû à la faim et au récent départ de sa mère. Elle retourna dans la cuisine.
L’immonde gnome avait trouvé une bouteille de white spirit sous l’évier, et le sac de gravier pour la litière du chat. Il avait étalé et mélangé ces deux substances sur le sol, sur les murs et sur lui, accompagnées de la purée de son repas et du contenu d’un pot de nutella insuffisamment surélevé. Il chantonnait en s’arrêtant de temps en temps pour contempler doctement les formes brouillonnes qu’il exécutait à pleines mains, sur les murs, avec son mélange infect. Voyant Emilie rentrer dans la cuisine, il se sauva en riant. Emilie le rattrapa pour le changer. Il s’enfuit à nouveau, tout juste rhabillé, et partit se cacher. A ce moment, Emilie perdit de son assurance. Elle appela Jules-César, qu’elle ne trouvait plus, de plus en plus fort. Elle ne savait plus si elle devait rechercher activement le morveux introuvable et silencieux pour l’instant ou si elle devait commencer à restaurer la cuisine sinistrée. Elle décida de vérifier la porte d’entrée, de barricader la porte du balcon, de rendre inaccessible toutes les chaises, tabourets, escabeaux, caisses diverses puis décida de se lancer dans le déblaiement de la cuisine en parlant à Jules-César le plus calmement possible, l’invitant à sortir de sa cachette, lui disant qu’il était pardonné, qu’elle allait le changer encore une fois, le mettre en pyjama, qu’il allait faire un gros dodo maintenant, gentiment, calmement, comme un grand garçon qu’il était… Emilie mit une heure et demi à rendre très passablement présentable la cuisine. Elle était un peu inquiète de ce silence mais elle se dit que le petit monstre avait du s’endormir dans sa cachette. Il fallait cependant qu’elle le retrouve pour le laver et le changer. Alors elle reprit méticuleusement ses recherches pièce par pièce, l’oreille néanmoins attentive. Tandis qu’elle allait voir à quatre pattes derrière un meuble de la chambre maternelle, un hurlement bondit sur elle et s’agrippa à la bretelle de son soutien-gorge maintenant apparente sous la déchirure de son chemisier. Il y resta accroché, empoignant ses cheveux de son autre main. Elle reçut des coups de pied, des griffures, des doigts dans les yeux ; elle eut le temps de s’apercevoir qu’il avait défait ses vêtements, chié dedans, puis sur la moquette, agrémentant le tout du contenu de la trousse de maquillage de sa mère. L’épouvantable chiard avait pris le temps de faire silencieusement de jolis dessins sur le sol avec ses excréments et les délicates couleurs des fonds de teint, mascara, rouge à lèvres et petite crème de nuit. Tout en cramponnant le machin hurlant, mordant, griffant, elle parvint à mettre à tremper un maximum d’affaires sales et mit à part le dernier vêtement, emballé dans un sac en plastique, dans son sac à main. Il ne rentrait pas dans la cuvette. C’est ce vêtement qui m’est parvenu par l’intermédiaire de Myriam. Le chemisier plus qu’à moitié déchiré, le soutif bousillé, échevelée, elle lava l’infâme cauchemar de deux ans et demi, puis elle essaya de le maintenir, emballé dans une grande serviette éponge, sur le canapé. Elle décida de ne plus bouger de là jusqu’au retour de sa mère. Elle y resta, complètement stressée, dans les vapeurs écœurantes et mélangées de parfums, de chocolat, de white-spirit, d’urine et de merde. Avec le petit con qui parfois braillait, appelait au secours, puis faisait semblant de dormir, guettant la moindre faille dans l’étau des bras et des jambes d’Emilie. Cette attente très inconfortable dura encore trois heures après lesquelles la mère rentra, sanglotante, clamant sans retenue ni pudeur que les hommes étaient tous des porcs. Elle s’arrêta en découvrant le tableau de Jules-César maintenu dans une serviette et immobilisé par Emilie. Jules-César, maintenant, gémissait faiblement, tendait ses petits bras suppliants et terrorisés vers sa mère déjà en larmes, hystérique, qui se mit à insulter Emilie, prête à appeler la police, à porter plainte pour actes inhumains et pervers sur un pauvre enfant. Elle se dirigea vers sa chambre où se trouvait le téléphone pendant qu’Emilie partait rapidement, avant même d’entendre le cri d’effroi qui devait suivre logiquement la découverte de la moquette. Emilie ne sera pas payée pour cette soirée passée en enfer où elle avait fait preuve finalement, d’un sang froid exemplaire. Dès le lendemain, elle racheta une puce pour son téléphone portable afin de changer de numéro, pour être sûre que la mère célibataire et cinglée de ce gosse pervers ne la retrouve jamais. Tans pis pour l’annonce qu’elle avait passée dans «Fontenay votre ville». De toute façon elle n’avait pas envie de refaire du baby sitting tout de suite.

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