(Psychanalyse . la fille)
Justine
justine

Après-midi de juin. Dans le parc de l’Hôtel de Ville à Fontenay-sous-Bois. Une sorte de beau temps, avec du vent et quelques nuages vaguement menaçants sur la «brocante des enfants» de la «Fête de la Madelon». Je me promène avec Maud, ma fille de 18 mois. C’est une brocante où des enfants viennent essayer de vendre leurs anciens jouets. Les petits brocanteurs ayant vendu un puzzle ou un «Play-Mobil» partent aussitôt, abandonnant tout, fureter dans les stands voisins, avec leurs six ou sept francs en poche, à la recherche de nouveaux trésors. Puis ils reviennent à leur poste de vendeur, ventant leurs articles avec des cris et des mimiques, commençant à marchander avant même que le passant ait compris de quoi il s’agissait. J’ai du mal avec les brocantes. Il y a trop de choses étalées dans tous les sens, alors, je ne vois rien. 1ère méthode : J’ai déjà essayé de les parcourir à la recherche d’un objet précis que je ne trouve jamais. 

2ème méthode : J’ai aussi essayé de ne penser à rien, de me laisser guider par les sensations, l’instinct, le «feeling»... Mais sans doute que le jour de la distribution du «feeling», j’étais 

malade parce que, je pense en être totalement dépourvu ; rapidement je pense à autre chose, j’observe les gens au lieu d’observer les étalages et, pour les “bonnes affaires”, j’ai le flair d’un enrhumé chronique. En général, je n’achète donc rien. Mais avec Maud, c’est un lieu de balade intéressant. Il faut juste réussir à les empêcher, elle et ses un an et demi, de ramener toutes ces choses étalées partout. En passant devant un stand où se trouve un jeu de loto de légumes, trois poupées dont une chauve et sans bras, j’entends la voix d’une petite fille m’apostropher et me dire : «et cette jeune fille, elle n’aurait pas besoin d’un body par hasard ?» Je me tourne vers elle, elle semble avoir une dizaine d’années, je regarde son étalage, je lui dis : «Quel body ?». De sous son blouson posé derrière elle, elle sort une boîte à chaussures, l’ouvre et me montre le vêtement qu’elle contient. C’est un vieux body tout usé. «Deux francs» me dit-elle. Elle le sort, le mets sur Maud toute surprise. Il est vraiment très usé et beaucoup trop petit. Je le lui fais remarquer. «Un franc ! Et il est tout propre, maman l’a lavé hier» ; je lui réponds une seconde fois qu’il est très usé et qu’il est bien trop petit pour Maud mais je suis amusé par son obstination. «Cinquante centimes !». Cette insistance, maintenant, m’intrigue vraiment : «Pourquoi veux-tu me vendre absolument un vêtement de bébé tout usé dont je n’aurai pas l’usage puisqu’il est, de toutes façons, trop petit pour ma fille? De plus, ce n’est pas en le gardant caché dans une boîte, elle-même cachée sous ton blouson que tu risques d’attirer le client !». La petite fille est troublée, elle a envie de pleurer. «Cinquante centimes, ce n’est rien pour vous, vous ne voulez tout de même pas que je vous paie pour le prendre !». Cette idée fixe me trouble à mon tour ; J’ai maintenant besoin de savoir pourquoi elle veut me vendre, à moi et à ma fille, ce vêtement. Je lui pose la question. Elle sanglote et m’explique que, sans doute, ce body est trop petit pour Maud mais qu’elle pourra le choisir comme doudou, peut-être... Elle m’explique aussi qu’elle s’appelle Justine, que ce body était le sien, puis qu’il est devenu son doudou à elle, et, qu’à neuf ans et demi, c’est ridicule d’avoir encore un doudou – c’est du moins ce que lui répètent ses parents depuis pas mal de temps – qu’elle espérait, à cette brocante, trouver une petite fille qui lui plairait, à qui elle pourrait vendre ce doudou... Je lui demande pourquoi elle ne veut pas en faire cadeau à un bébé ; après tout, c’est un objet précieux. Elle me regarde d’un air sévère. «Il faut que je le vende, que je l’échange à la rigueur, mais je préfère le vendre ; cher, pas cher, je m’en fiche» Je lui donne deux francs. «On a dit cinquante centimes !!». Je lui donne donc ses cinquante centimes et je repars avec le body, songeur. Plus tard je l’ai donné à Maud. Elle l’a négligé pendant un temps, a décidé de nettoyer par terre avec – Maud adore «faire le ménage» – puis l’a abandonné rapidement. Je l’ai récupéré et lavé soigneusement pour le réutiliser.

Je continue ma promenade avec Maud, l’esprit moins léger. La plupart des exposants sont là avec leurs parents, plus ou moins présents, plus ou moins rigolards. Certains adultes donnent des leçons de négociation, de commerce à leurs rejetons, les conseillent sur la disposition de leur étalage, sur les mots à utiliser, finissent la plupart du temps par prendre leur place pour discuter avec d’autres adultes des prix, de la qualité des marchandises... Les enfants sont partis depuis longtemps, ils font des batailles de marrons un peu pourris, restés là depuis l’automne dernier. D’autres n’ont pas la permission et restent sagement derrière leurs parents qui parlementent serré. La nuit tombe ; ils s’ennuient, rêvent et seront très grognons ce dimanche soir, ingrats qu’ils sont, avec tout ce qui est organisé pour eux, comme cette brocante qui leur est réservée. Non ! Le feu d’artifice, il est trop tard, ton père est fatigué et puis il y a école demain ! Quelle idée, aussi, de faire un feu d’artifice un dimanche soir ! Ils le savent, quand même, que les gosses se lèvent ! C’est ça, fais la tête ! Tu pleures maintenant ? Tant mieux, tu pisseras moins ! Maintenant, ça suffit ! Va te coucher !