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Plusieurs gros tas instables, plusieurs caisses en plastique
pleines, réparties dans la maison, oubliées.
Toujours une urgence dix mille fois plus urgente à faire, qu'à trier la paperasse («de toutes façons, elle n'est pas perdue puisqu'elle est là, entassée quelque part ! Il n'y aura qu'à chercher...»). Des machins qui s'accumulent pas triés depuis des années. °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°° |
Le chaos, l'entropie qui rode, qui ronge et qui profite, entretenue qu'elle est par Thanatos, mon copain, ce salaud. Et tout ça, sous mon oeil bienveillant et pervers. Ça m'agace ! J'ai dis, j'ai écris «pas partout et pas pour tout». À voir ! Lorsque je cherche quelques chose, que je braille des grossièretés, énervé ; énervé de perdre tout ce temps ! Que quelqu'un, présent là, me fasse remarquer innocemment, qu'en rangeant «au fur et à mesure» etc, etc... Le «quelqu'un» ne manque pas de se faire incendier sévèrement. Juste la parole de trop qu'il fallait pour m'offrir un prétexte et une personne pour me désénerver dessus. Cette chose, on me l'a dit cent fois au moins, et cette réponse, je l'ai faite, la même, cent fois au moins aussi : «je suis bordélique, je sais ! Mais pas partout et pas pour tout ! Dans l'élaboration d'une mise en page, je suis un vrai maniaque ! Dans le rangement interne de mon ordinateur, je suis un vrai maniaque ! Et gare à celui qui vient déranger !!» Bon, mais il va tout de même falloir que je change d'argumentaires/alibis. Ranger, trier, ça m'emmerde. Je suppose que ça fait chier beaucoup de monde, mais moi je suis très fort pour «oublier» les choses, alors je laisse filer... les trucs à payer ou à faire rapidement, restent quelques temps à la surface du chaos et de mous réflexes de survie s'en souviennent vaguement, mais suffisamment pour qu'ils soient payés ou faits à temps. Ou alors pas si en retard que ça. Qui a dit négligence ? Je n'ai jamais eu d'ennuis véritablement graves à cause de ce gros travers. J'ai peut-être été pris en faute quelques fois, cependant, dans ces négations de mauvaise foi. Par exemple, à propos de cette histoire, l'histoire de Diane. Mais si elle est vraie, et admettons qu'elle le soit, je ne suis pas responsable. Je ne suis pas le fautif de l'histoire ! Je ne suis qu'une péripétie. Devant mon ordinateur/machine à écrire/machine à dessiner, endroit où je passe plusieurs heures par jour ; en me baladant dans mes dossiers, je trouve, surpris, un document texte intitulé : «J’étais là tout le temps et tu ne m’as pas vue». Ça ne me dit rien du tout. Ça fait long pour un nom de fichier. Je suis surpris et je n'en ai aucun souvenir. Ça doit être un vieux truc... Même pas ! Ça date de mai 2005 ! Qui a touché à mon ordinateur ! J'ouvre et je lis ce qui est écrit. Ça ressemble à des textes à moi. Ça me donne un coup. J'ai peur. Je ne me souviens absolument pas de cette chose ! Ces textes ont la mémoire pour sujet, en plus ! C'est de très mauvais goût, cette farce ! Il y est question de souvenirs qui disparaissent absolument, et de notes prises, vite fait, sur des petits papiers, classés sur trois jours. Soit, quelqu'un m'a fait une très vilaine blague – mais les gens qui m'entourent ne sont pas malveillants, ils ne feraient jamais ça – soit, il est nécessaire d'aller voir un médecin : j'ai des trous dans le cerveau, Alzeïmer, Kreuzfel-Jacob, tous ces monstres voraces, amateurs de cervelle ! Ou, cette histoire est «pour de vrai», impliquant des gens «pour de vrai». Je dois plonger dans mon merdier de documents périmés ou pas et retrouver ces griffonnages ! Je dois savoir s'il s'agit de sénilité précoce ou de la «ré-a-li-té». Je dois retrouver ces petits bout de papier, en espérant ne pas les avoir jetés. Quand bien même je trouverais des choses allant dans le sens de la véracité de cette histoire, il pourrais toujours s'agir de délire paranoïaque, de multiplication de personnalités, de mythomanie, de troubles graves de ma perception du monde... Mais au fond, je crois que je préférerais ça à la disparition inexorable mais consciente de tous mes souvenirs. Alors je cherche... Pendant deux jours, je suis d'une humeur de chacal, mes filles en ont marre et me le font savoir bruyamment, elles ont raison... Et je trouve !! J'ai trouvé ! Un, deux, trois, des dizaines de bouts de papier ! Je cherche encore, je trouve une autre mine, une demi-heure après ! Il fallait juste «amorcer la pompe» ! Toujours pas datée, mais parfois minutée, celle là ! Et puis encore une autre ! Presque aussitôt ! Vaguement minutée aussi. À mon avis je suis encore tombé dans une histoire quelque peu désordonnée. Je laisse les trois tas bien séparés, ça peut être important. Je survole rapidement ces petits papiers en vrac. Ça me fait peur, quand même. Ces machins sont des traces de moi, ça ce voit. Mais je ne m'en souviens pas ! Je préfère lire la transcription. Il est question d'une fête de saison à Métalu. Avant mai 2005, j'ai été présent à deux fêtes du printemps de Métalu. Et il y a aussi les fêtes de l'hibernation... Avant la date de création du fichier, j'étais aussi présent à deux fêtes de l'hibernation... De laquelle s'agit-il ? Les notes sur les feuilles n'évoque pas tellement le programme, ça aurait pu m'aider... Je repart dans la recherche de vieux «fly», de vielles invitations à ces fêtes. Pas trop longtemps, en fait. Ça m'a saoulé de creuser dans cet enfer pendant deux jours. De toutes façons, j'ai les yeux qui font des noeuds. Je ne me sens pas très bien. J'ai envie de vomir. Il faut en sortir maintenant. Prenons des décisions. 1ère décision ou considérée comme telle : cette histoire est vraie, elle relève de la : «ré-a-li-té». Et cela se passe à une fête, disons du printemps : à Métalu. 2ème décision ou etc, etc : Ces petite notes sont classées chronologiquement dans le texte de l'ordinateur. Éventuellement chronologiques seulement. Pour trouver dans tout ça un semblant de cohérence, il va falloir que je ré-explore. Comme j'ai du, de toutes façons, en perdre et étant donné l'invraisemblable de ces évènements, ça ne va pas être facile. Le style n'est pas terrible. C'est blindé de répétitions un peu séniles. Mais quel moyen de faire autrement si on oublie tout de minute en minute ?! 3ème décision : comme c'est tout à fait sûr qu'il s'agit de mon écriture, comme c'est tout à fait sûr que j'ai pris ces notes, que je les ai recopiées, qu'elles expliquent justement, j'ai compris ça, les raisons de cette étrange amnésie et de cette étrange douleur, je vais tenter de raconter cette histoire, trouver un contexte à ces notes pour les rendre plus vivantes, boucher les trous, saupoudrer de souvenir vagues, re-writer un peu tout le bazar. Le contexte étant approximatif puisque je ne retrouve plus les programmes. 4ème décision (ou tout ça, tout ça) : ces décisions ne sont sans doute pas les plus rationnelles, ni les plus rassurantes sur ma santé mentale... Mais ce sont les seules possibles pour que je puisse continuer à cohabiter avec moi. Et puis ces notes, laissées tels quelles, s'évaporent continuellement, je les oublie sitôt relues. Je me demande comment j'ai réussi à recopier ces trucs. J'aurais du, logiquement, ne pas pouvoir continuer cette copie, avec la mémoire qui se verrouille systématiquement par cet acte même. J'ai du taper ça tard le soir, fatigué, sans rien décider, juste par réflexe, en «pilote automatique». Construire un semblant d'histoire autour, leur permettra d'exister un peu, d'être rappeler autrement. C'est le seul moyen, d'ailleurs, d'aller au bout de l'écriture de ce texte. Donc, je raconte. C'est la fête du printemps à «Métalu». Cette année, il ne fait pas grand beau temps. Ça n'empêche pas Maud et Gabrielle de s'élancer et de courir partout. Il y a plein de choses à voir, plein de bisous à recevoir de tous les gens qu'elles connaissent. Plein. Des enfants partout, elles disparaissent tout le temps, dans ces réduits dangereux, excitants et chaleureux. Il y a des concerts, étonnants comme d'habitude, des expositions d'engins bizarres, des idées dans tous les coins, des spectacles, des salades, des copains, des coups à boire... Là, je me sens bien. Ces habitants là, sont ceux de mon patelin idéal. Trois jours à bouillonner, à m'en mettre plein les yeux, pleins les oreilles. Trois jours à me regonfler l'optimisme.
Vendredi soir, je suppose – la première liasse : J'ai vu des peintures, les machines littéraires de Jérôme, des sculptures dans le jardin en ruines. J'ai vu un spectacle de marionnettes géantes, inquiétantes, grotesques et étonnamment proches de moi. J'ai entendu Martin dans un récital de chanson au piano. J'ai entendu un concert de musique un peu «gothique» jouée par un duo banjo et clavier/chant. Puis, bien tard, j'ai ramené mes filles toutes endormies et les ai mises au lit. J'ai voulu me coucher à mon tour mais, dans les poches de mon pantalon j'ai trouvé des petits bouts de papier remplis de notes griffonnées. C'était mon écriture. Je ne me souvenais pas de les avoir écrites et je suis fatigué mais... je suis incorrigible. Amateur avide de bizarreries, je me réveille juste ce qu'il faut, je déchiffre, je recopie sur l'ordinateur et j'essaie de classer... Un peu : «Elle s'appelle Diane, c'est une jeune fille, presque une adolescente, timide, jolie, petite, c'est elle qui m'a demandé de raconter cette rencontre par écrit. Elle dit qu'elle est invisible au monde, qu'elle doit perpétuellement se manifester avec insistance pour qu’on la remarque. Dès qu’elle cesse de se remuer dans tous les sens, on l’oublie. Elle insiste pour que je prenne des notes, pour ne pas l'avoir oublié à notre prochaine rencontre. Il y a des gens parfois un peu dérangés aux fêtes de Métalu. Elle voit ce que j'ai écrit mais ça la fait rigoler. Le temps que j'écrive ça, elle est déjà partie. À sa place devant moi, il y a une toute jeune femme, jolie, qui me sourit. Décidément, je séduis, ce soir...» «Elle est vraiment belle, cette fille, elle s'appelle Diane... Pourquoi m'a-t-elle demander d'écrire ?» «Elle est souriante, assez petite, brune, très jolie, elle porte un chapeau plutôt cocasse... Mais qu'est-ce que je fais ? Je suis en train d'écrire sur une table de bistrot, un vendredi soir à une fête de Métalu, et je décris une fille ! C'est que je n'ai jamais fais ça, moi ! Mateur, sans doute, mais caché, toujours ! La grande frayeur de cette prise de conscience, c'est qu'elle est assise juste en face de moi, à cette même petite table et qu'elle me sourit, maintenant ! Je suis pris sur le fait !» «Diane m'affirme qu'elle m'a parlé il y a dix minutes. C'est vrai, les écritures trouvées dans mes poches le prouvent. C'est Diane qui m'a dit de prendre des notes, parce que c'était le seul moyen pour moi de me souvenir d'elle. Me «souvenir» ? Je retrouve et je lis les nombreux petits papiers entassés dans toutes mes poches. C'est inimaginable d'avoir oublié tout ça ! Quand je relève les yeux, il y a, assise devant moi, une jeune fille brune, plutôt petite, très jolie, souriante. Elle porte un chapeau excentrique. Il faut oser se balader comme ça ! Je lui demande si elle n'a pas vu la jeune femme qui était assise à sa place, il y a quelques instants. Elle cesse de sourire et part sans dire un mot, l'air peinée. Qu'est ce qui lui prend. J'ai relu ce que j'avais écrit plus haut... C'est troublant.» «Elle s'appelle Diane, elle me demande d'écrire. Elle me raconte son histoire, à nouveau, selon elle ! Quelle drôle d'histoire ! Si on m'en avait déjà parlé, je m'en souviendrais. Elle se moque de moi, là. Diane me hurle dans les oreilles. Ah oui, surtout, surtout, rester attentif, ne pas la quitter des yeux. Et puis la musique est un peu forte. Elle me demande d'écrire un texte sur une feuille que je lui donnerai : «Je suis Diane. Nous avons parlé ensembles plusieurs fois aujourd'hui. Tu ne t'en souviens pas parce que j'ai ce pouvoir idiot et insupportable qui fait que les gens m'oublient au bout de quelques secondes. Inutile de ré-écrire ce truc, tu l'a déjà recopié plusieurs fois pour toi. Quand tu relèvera la tête, la fille devant toi, ce sera moi, Diane». Je recopie quand même ce papier pour le garder pour moi pendant que Diane rouspète. Cette feuille elle me la brandira sous le nez dès qu'elle me recroisera. Je reconnaîtrai mon écriture et je la croirai... Oh ! Mais oui ! Il est réel ce phénomène ! Je sens le souvenir de son existence s'évanouir, s'évaporer, très vite. C'est horrible ! Une fille est assise à ma table, elle est jolie et elle me souris, je vais lui raconter cette histoire pour ne pas rester seul dépositaire de ce secret épouvantable... Mais pourquoi à elle, d'abord ? Et quel secret ? Quelle histoire ?»
«À
une fête de saison de Métalu, je croise une jeune femme
qui me demande de regarder dans mes poches. Ah? «Une inconnue, jolie, l'air courroucée et las, me prend brusquement le papier que je recopiais et me le montre avec insistance. Je le lis puis je lis le texte qui est sur la table devant moi. C'est le même texte ! C'est moi qui écris ! Mais alors c'est donc vrai ! C'est Diane qui est là !» «Je l'ai égarée et oubliée plusieurs fois mais elle m'a retrouvé et ma mis le texte sous les yeux. Elle parvient à me re-raconter un bout de son histoire. J'oublie cette histoire en essayant de l'écrire. Elle me secoue et me montre d'un geste impératif et agacé les écrits étalés devant moi. Je prends quelques notes après avoir admis la véracité de cette faculté de disparaître aux yeux du monde et de s’effacer de toutes les mémoires. Je m’oblige à faire cela. Elle me dit que j'ai déjà écris tout ça, déjà.» «Diane ou les traces laissées par elle ou, les traces laissées sur elle par d'autres, disparaissent totalement des mémoires. Si, Diane, que je doit écrire cela !» «Une fille que je n'ai jamais vu m'a tendu un papier et m'a dit : «lis ça !» et un stylo, un autre papier. Elle m'ordonne de retranscrire ces évènements au fur et à mesure. Ouah ! On dirait un début de polar ! Du coin de l'oeil, je crois reconnaître mon écriture. Je lis ce que j'aurais écris (sans m'en souvenir ? Allons donc !) : «Je suis Diane. Nous avons parlé ensembles plusieurs fois aujourd'hui. Tu ne t'en souviens pas parce que j'ai ce pouvoir idiot et insupportable qui fait que les gens m'oublient au bout de quelques secondes. Inutile de ré-écrire ce truc, tu l'a déjà recopié plusieurs fois, pour toi. Quand tu relèvera la tête, la fille devant toi, ce sera moi, Diane». Je fouille dans d'autres poches et je retrouve d'autres notes où je raconte plusieurs fois cette même histoire. Je lève la tête, je vois une inconnue, très jolie, brune, toute jeune et qui me sourit. Qu'est ce que c'est ? Une farce ? Cette farce est trop belle ! Allez, je la mets par écrit (pour ne pas l'oublier !). Et je mettrai le papier dans ma poche» «Cette fille devant moi, ce serais donc Diane. Elle me demande de lui ré-écrire un papier, «plus» concis, dit-elle. Elle dicte, je m'exécute. Je ne suis pas contrariant comme mec.» «Une jeune inconnue m'aborde et me tend un papier. Je lis : «Je suis Diane. Nous avons parlé ensembles plusieurs fois aujourd'hui. Tu ne t'en souviens pas parce que j'ai ce pouvoir – ou cette malédiction - qui fait que les gens m'oublient au bout de quelques secondes. Quand tu relèvera la tête, la fille devant toi, ce sera moi, Diane». pendant que j'écris tout ça et recopie ce texte, tout excité par cette étrange histoire, Diane, assise devant moi chante très fort et joue du tambour sur la table. Elle ne veut pas que je l'oublie. Je pense qu'elle en rajoute un peu. Mais quand j'ai regardé devant moi, c'est vrai que je ne savais pas du tout qui était cette très jolie fille très énervée, là, devant moi.» «J'ai les poches pleines de papier. Éh, les filles ! Ne pas jeter vos papiers d'emballages par terre, c'est bien, c'est très bien, mais ne pas les entasser dans mes poches, ça n'est pas mal non plus ! Je ne suis pas votre poubelle ! Elles ne m'écoutent pas de toutes façons ! Trop occupées à jouer et à s'exciter ! Surpris, j'ai trouvé là, des trucs oubliés, écrits par moi, écrits sur des bouts de cahier, sur des morceaux de nappes de papier... C'était moi qui avait encombré mes poches ! Aujourd'hui, en partant de chez moi, elles étaient vides, j'en suis sûr ! J'écris cette histoire surprenante.» «Une très jolie fille, petite et brune me tend un papier m'appartenant, on dirait, puisque je reconnais mon écriture. Je lis : «Je suis Diane. Nous avons parlé ensembles plusieurs fois aujourd'hui. Tu ne t'en souviens pas parce que j'ai ce pouvoir – ou cette malédiction - qui fait que les gens m'oublient au bout de quelques secondes. Quand tu relèvera la tête, la fille devant toi, ce sera moi, Diane». C'est incroyable, ce truc ! Ce papier n'est pas à moi, mais à elle ! Je l'ai écrit pour elle, pour l'aider ! J'ai déjà croisé plusieurs fois cette magnifique demoiselle à cette soirée, et je l'ai oubliée, c'est épouvantable. Elle raconte son enfer, elle a envie de me parler. Pourquoi me raconte-t-elle tout ça ? Je ne la connais pas, après tout ! Mais peut être que si, en fait ? Mais puisque je ne m'en souviens pas, elle reste une inconnue ! Elle me demande d'arrêter d'écrire, même si c'est elle qui a voulu, au début (ah bon ?), de juste l'écouter et de lui parler, même si dans un quart d'heure, j'aurai tout oublié. C'est dramatique ! Alors j'écris juste ce qu'elle me dit, là, vite : «Ça n'est pas grave, je suis un peu fatiguée de me battre pour ce soir, j'ai besoin de discuter avec quelqu'un et de faire semblant de croire que cette brève relation lui restera en mémoire, ne serait-ce que dix ou vingt minutes...» Elle est très belle, cette dernière note... Inventée ? Dictée ? Je ne sais pas, je ne m'en souviens plus. Je vais me coucher.
Samedi après-midi et samedi soir, je suppose – la deuxième liasse : Il y a plus de soleil qu'hier. Cet après-midi, j'ai emmené Violette, ma mère. Elle aime assez ces productions inhabituelles, théâtre, peintures ou musiques... À Métalu, tout est prêt ; celui ou celle qui fait la caisse me connaît, me fait la bise, sait que j'ai acheté des billets pour les trois jours. Gabrielle et Maud sont directement partis retrouver leurs copains/copines. Je part traîner dans le hangar. Des spectacles sont programmés : toujours des marionnettes mais la scène est très différente de celle d'hier. Il y a une loupe à télévision, des panneaux de bois au dessus, en dessous et sur les cotés, qui masquent. La loupe déforme et dissimule tout ce qu'il y a derrière. La séance représente un journal télévisé très actuel, très familier, mais en langue déformée, en double, en triple langage, en langue multiple. Le journal télévisé d'une dictature moderne, mortelle et hight tech. Spectacle glaçant et magnifique. Marie à installé son «Abécédaire pour un monde meilleur». Cette exposition est bouleversante, aérienne, à peine humaine mais totalement humaine. Martin en compagnie de Alory et d'un autre garçon ont chanté à capela et en polyphonie une chanson composée et écrite sur des trames de nombreuses comptines et chansons enfantines, en en reprenant des fragments chantés bouts à bouts. C'est difficile d'expliquer ça en quelques mots mais vous devriez pouvoir l'entendre en tapant : «http://margranger.free.fr/lauriers.htm». Le soir il y a eu plusieurs concerts mais je ne me souvient que de «Jéranium et les Nitrates» et de Maud et Gabrielle déchaînées qui pogotaient comme des folles devant la scène. Ça les a marquées ! En fin de soirée, elle sont complètement écroulées, à roupiller ferme sur un divan défoncé. Alain, mon frère, m'aident à les charger dans ma voiture. Violette à proposé de les emmener chez elle. Je ramène tout ce monde se coucher. Ce que j'aime ça, les fêtes de saisons de Métalu ! Je suis vanné mais j'y retourne quand même après. J'ai encore plein de gens à voir là bas ! Je coule dans le canapé, les oreilles et les yeux qui me chauffent encore de ce samedi. Je viens de me réveiller et c'est une belle fin de matinée. Je prend une douche et je m'habille. Je lance une lessive. Je vide les poches des vêtements avant de les mettre dans la machine. Celles de mon pantalon font des bosses. J'y trouve des notes, écrites par moi, plein. Je ne me souviens pas, de tout ces gribouillis. On s'écrit, généralement, des petits mots pour se souvenir de choses que l'on risque d'oublier ; la plupart du temps, on relis quelques lignes et ça revient très vite... Le soucis, c'est que je ne me rappelle absolument pas d'avoir pris ces notes. C'est moi, c'est sûr, qui ai écrit ça ; c'est «mon» écriture et c'est «mon» pantalon. Si j'en crois les quelques bribes lues, il dois y avoir quelques part dans la maison, un tas de notes oubliées. Avec mon paquet de feuilles chiffonnées et griffonnées, je vais auprès de mon ordinateur. J'y trouve effectivement des petits billets qui traînent là depuis je ne sais quand. Hier soir ? Vendredi soir ? Avant ? Je les relis. Il semblerait que j'ai du tenter de les classer. Je lis attentivement les nouvelles trouvées dans mes poches. L'heure est indiquée sur quelques unes. C'est plus facile à remettre dans l'ordre. Alors, je m'installe, je classe et je recopie sur l'ordinateur. Le dernier document ouvert dans OpenOffice s'appelle «J’étais là tout le temps et tu ne m’as pas vue». C'est quoi ça ? J'ouvre. Ce sont les notes de la veille... Oh ! De la veille ! Je n'ai pas de mémoire mais enfin, quand même ! Bon, on réglera ça plus tard. Je recopie les textes à la suite de ce document en spécifiant bien l'ordre : 1er jour, 2ème jour, c'est plutôt indispensable. Je dépose cette seconde liasse, soigneusement à coté de la première ; très soigneusement, très en évidence. Je colle devant, un post-it : «surtout, surtout, ne pas jeter !». Cette faculté qu'aurait Diane d'être oubliée très vite, s'accompagnerait de celle de jeter dans l'oubli, toutes traces écrites ou autres, mentionnant son existence. Diane, dans une de ses interventions recopiées, insiste pour que je ramène un appareil photo. Il y a de grandes chances pour que ce soir, je retrouve encore mes poches bourrées de fragments d'histoires. Je verrai bien. Tout d'abord, je retranscrits celles trouvées ce jour. Et, après avoir oublié toutes ces choses que j'ai faites, je repartirai après à Métalu.:
«J'écris sous la dictée d'une fille un peu excentrique avec un chapeau de sorcière ou de savante folle plutôt. Elle est... complètement jolie, souriante. Et drôle comme tout. Un peu cinglée, peut-être, mais d'une sorte de folie douce, vraiment très douce... Alors allons y ! Elle s'appelle Diane et elle me connaît depuis hier. À bon ? Je ne me souviens pas mais bon, j'en ai vu du monde ! Elle me dit que c'est normal et que c'est comme ça. Elle sort de son sac un papier, me le montre. C'est écrit par moi, je reconnais l'écriture. Je lis (et je recopie) : «Je suis Diane. Nous avons parlé ensembles plusieurs fois hier. Tu ne t'en souviens pas parce que j'ai ce pouvoir – ou cette malédiction - qui fait que les gens m'oublient au bout de quelques secondes. Quand tu relèvera la tête, la fille devant toi, ce sera moi, Diane». C'est complètement barré, cette histoire. Je relève la tête, la fille est partie. Elle m'a demandé de noter l'heure. Il est 16h20» «Je m'assois à une table. Dans mes errances de fête, une fille m'a saisie par le bras et c'est elle qui m'a ordonné de m'asseoir, de prendre un papier et d'écrire. Je n'ai pas envie d'être contrariant, d'autant plus qu'elle est très jolie ! Elle me dit de regarder dans mes poches que j'y trouverai d'autres notes qui m'éclairerons sur ses agissements. Ah, j'ai compris ! Avec son chapeau extravagant, c'est une magicienne. C'est une attraction surprise ! Ah non. Les notes de ma poche, c'est moi qui les ai écrites. Ça n'est plus drôle. Ça fait un peu peur, même. Je voudrais plus de détail mais la fille est partie. À sa place, assise à la table, il y a une autre fille, jolie aussi... Serait il possible que ce soit la même fille !...» «J'écris à une table en buvant un nectar d'abricot. Souvent, ceux qui écrivent des histoires, des poèmes, prennent des notes sur n'importe quel bout de papier, pour se souvenir des idées qui passent. Moi, jamais. J'ai une mémoire pleine de trous mais je ne note jamais rien et mes idées trépassent et finissent enterrées dans mes trous de mémoire. Mais là, j'écris des trucs sur un bout de papier. Qu'est ce qui me prend ? Cette fête est-elle ennuyeuse au point de devoir tuer le temps en griffonnant de vagues phrases un peu pédantes ? Non pourtant ! Il y a Martin qui s'est installé au piano électrique et qui chante des chansons tordantes ! Quelqu'un lit ce que j'écris par dessus mon épaule. D'habitude, ça m'énerve, mais là non. Étrange... Quand je me suis retourné, je l'ai vu. C'est une jeune femme coiffée d'un chapeau invraisemblable et habillée de couleurs vives. Une jeune femme très très belle, petite brune, aux yeux presque noirs. Elle prétend que je suis en train d'écrire à sa demande. Ah, ouais ! Pour preuve, elle me rappelle que je ne prend jamais de notes, que je n'écris jamais en public, comme je l'ai noté plus haut dans ce texte. Ça ne prouve donc rien. Elle me met sous les yeux un texte écrit par moi, semble-t-il, dont je n'ai aucun souvenir. Il raconte que je la connais mais qu'elle a le pouvoir de se faire oublier de seconde en seconde. Elle veut me raconter un peu plus son histoire. Elle veut que je l'écrive. Que j'écrive sous sa dictée. Que j'écrive l'heure. 16H40. Elle s'appelle Diane. Elle a vingt deux ans. Elle est née à la maternité de Nantes. Au début de sa vie, on ne l'oubliait pas constamment. C'est arrivé petit à petit. Ses parents ont commencer, néanmoins, à l'oublier de plus en plus souvent à l'école maternelle.» «Elle s'appelle Diane, elle ma demandé de relire le texte devant moi que je venais d'écrire et que pourtant, je découvrais. Je suis abasourdi mais j'ai compris. J'écris. 16H50. Elle avait un grand frère qui ne l'a jamais beaucoup fréquentée. Elle s'est mise à lire très tôt. Toutes sortes de lectures. Elle entrait dans les bibliothèques, puis, plus tard, dans les librairies. Elle était comme invisible.» «Sitôt vue, sitôt oubliée. 17h00» «17h15. Elle partait d'ailleurs souvent avec les livres qui lui plaisait, sans être inquiétée. Elle prie vraiment conscience de cette faculté qu'elle avait, pendant sa douzième année, quand elle rentra chez elle et que personne ne la reconnue. Sa mère, la croisant dans l'appartement poussa un cri, lui demandant qui elle était, ce qu'elle faisait là, puis la croyant perdue et perturbée, en entendant ses pleurs angoissés, ses réponses incohérentes, voulut prévenir les pompiers, mais oublia tout en se dirigeant vers le téléphone. Son père et son frère eurent ce même comportement totalement incompréhensible pour Diane. Cela dura toute la soirée : cri de surprise... puis plus rien.» «OK, j'écris. 17h45. Ce fut une période atroce. Période de larmes, de folie, de désespoir. Elle continua à habiter chez ses parents qui voyant régulièrement une «étrangère» dans leur appartement, marquaient chaque fois un temps de surprise, poussant un cri, de temps à autre... Temps de surprise de plus en plus bref néanmoins. Puis ils ne la virent plus. Elle allait toujours au collège, ignorée par ses copains, ses copines, par les professeurs. Ses devoirs ne pouvaient jamais être corrigés. Bien sûr, les prof oubliaient son nom. Ils oubliaient aussi les copies qu'elle leurs rendaient régulièrement, pourtant. Elle compris que toutes les marques, toutes les traces directes ou indirectes qu'elle laissait, héritaient de cette même faculté, de disparaître des mémoires. Elle disparue de toutes les listes. Elle y devint «faute de frappe», «erreur d'impression», pour l'éternité. Elle compris qu'elle allait passer sa vie dans la plus absolue solitude. Elle lisait beaucoup, elle allait au cinéma, à des concerts, gratos. Elle allait voir des expositions. C'est à ce moment qu'elle commença à aller habiter chez des gens qu'elle suivait dans la rue. Ces gens ne la remarquaient que très peu et si elle passait plus de deux nuits dans une chambre, les habitants habituels du logis oubliaient l'existence de cette pièce. Elle vivait, presque autiste, sans parler, à manger n'importe quoi en se servant dans les magasins, ou dans les restaurants, ou dans les maisons qu'elle squattait, bien forcée, le regard dans le vide... Puis elle eu quinze ans et elle tomba amoureuse.» «Bon, inutile de tout re-raconter à chaque fois. La jolie Diane m'a raconté. Elle dicte, je raconte, donc. 18h45. Il s'appelait Marc, il était peintre et sculpteur. Il avait pas loin de quarante ans et vivait dans un petit patelin de l'Aisne avec sa femme et son bébé. Alors elle entra dans son atelier, où il travaillait, s'agita dans tous les sens, le séduisit à l'arrache, se mis tout de suite à poil, le traîna vers un lit et se débrouilla pour rester dans son champ de vision et de fornication suffisamment longtemps pour que cet amour fut consommé. Après, elle alla beaucoup mieux. Depuis, elle vit toujours chez l'un, chez l'autre. Ou dans des hôtels, des palaces, même, c'est plus confortable. Elle fait des voyages en train, en avion, elle fait des croisières.. Gratos. Elle navigue d'amour sans suite en amour sans lendemain.» «19h30. Je vois déjà moins clair quand j'écris. Cette femme, Diane, encore et encore, raconte une nouvelle fois son histoire, elle désire parler avec moi. Je suis peut-être un peu moins abasourdi à chacun de ses retours car je sens, même quand je l'ai totalement oubliée, une atmosphère étrange autour de moi. L'encombrement, chaque fois incompréhensible de mes poches par des masses de petits papiers griffonnés de ma main et oubliés. Comme ils me gênent dans mes mouvements, je les regarde régulièrement, je les lis, n'y comprend rien, les remets, en les tassant, dans mes poches, les re-découvre, les relis, n'y comprend rien... Cette fois elle me parle de choses plus ordinaires, des concerts, des spectacles, des expo... Elle rie.» «20h30. Dans la pénombre, je relis encore une fois ces fragments de texte qui déforment mes poches. Je dis «encore une fois» car si j'oublie à chaque fois le contenu de ces textes, et pour cause, leur existence reste inscrit quelques parts dans mon esprit. Ce geste répétitif de sortir des petits papiers chiffonnés de mes poches de les lire et de les oublier. C'est extrêmement troublant parce que ça rode à la surface de ma mémoire, mais juste à la surface. Comme une indéfinissable démangeaison de l'esprit.» «21h30. Une femme merveilleuse fait une apparition. Je ne l'ai jamais vu mais je sais d'instinct qu'elle est en relation avec cette démangeaison qui déforme mes poches et avec cette autre qui m'assomme d'émotion et me fusille de désir. C'est un petit bout de femme, toute jeune, belle à s'enfermer dans une tour. J'ai envie de pleurer, de la serrer dans mes bras. J'ai envie de m'enfermer avec elle dans cette tour. Je ne veux plus la quitter des yeux.»
Dimanche après-midi, je suppose – la troisième liasse :
Avant
de repartir, je dois passer chercher mes filles. Je trouve un mot sur
la table de la cuisine, près de mon appareil photo :
«Surtout, prendre l'appareil photo et l'emmener à la
fête de Métalu (IMPORTANT)». Je ne pense jamais à
faire des photos. Mais je me force. Je me souviens vaguement avoir
écrit ce mot mais pas du tout pourquoi j'ai mis tant
d'insistance, tant d'autorité dans cette nécessité
à le prendre. Peut être que j'ai regretté hier,
ne ne pas l'avoir pris pour photographier les filles dans leurs
danses barbares ? Enfin bon, je le prend. Il fait très
beau, aujourd'hui. Je me sens particulièrement en forme. D'une
forme un peu magique. Les pollens des quelques premières
fleurs, le rallongement des jours, la timide chaleur d'un soleil
discret, communiquent avec notre chimie interne, réveillant
des désirs et des pulsions diverses pas désagréables,
distillant l'impression, ou l'illusion de pouvoir nouveaux, inconnus,
oubliés... Je me sens tout imprégné d'une odeur
de stupre végétal. C'est le printemps. Les fleurs
cherchent à exciter les abeilles. Des phéromones de
toutes espèces naviguent dans l'atmosphère.
Aujourd'hui, Robert à la trompette, Gwen à la guitare
et François à la batterie nous offrent une série
d'improvisations toutes entortillées, leurs oreilles grandes
ouvertes, le corps qui accompagne, à l'affût du moindre
virage, de la moindre aspérité dans l'écoulement
du temps, des sons et des évènements ; aspérités
où ils de lovent, à la fois comme des huîtres et
des animaux en rut. Les expo sont toujours là. Je retourne y
flâner avec gourmandise. Il y a du cinéma aussi, des
dessins animés... Une reprise d'un des spectacles de
marionnettes du vendredi ou du samedi, je ne sais pas, je n'y vais
pas. Trop épuisé, vidé. Content ; bien dans mon
corps épuisé et heureux, écroulé dans un
fauteuil. Les cris des enfants, toujours remplis d'énergie, se
font néanmoins plus doux. Je ne sais pas si ce sont mes
tympans qui se tannent ou les gosses qui crient moins fort. Des gens
qui errent, souriant béatement, épuisés, tout
seuls ou en grappes. Au bar, il y a encore de la bière... Mmm
non... Un café ? Trop tard. Un jus de fruit, alors,
Pomme ? Raisin ? Abricot ? Oh oui, ça, un
nectar d'abricot ! Antoine, tu bois quelque chose ?
Bzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz...
Encore quelques rayons de ce premier soleil, encore quelques odeurs, quelques vacarmes, quelques regards échangés de ces trois jours de grâce... Oh oui, j'aime bien ça, les fêtes de saisons à Métalu ! Oui bon, il est huit heures, il y a de l'école demain. Allez les filles, on rentre ! À la maison, personne n'a plus faim, évidemment. Alors, au bain : D'accord Maud, pas de shampoing pour ce soir, restons cradingues, on verra demain... Mais, c'est quoi, là dans tes cheveux ? C'est répugnant ! Alors si, tu te les lave ! Si, si ! Je t'aide, si tu veux !... Maintenant, au lit ! Bonne nuit Gabou, ma grande fille ! Il était bien ce week-end, hein ! Je viendrai te faire un bisou tout à l'heure. Toi Maud, tu choisi l'histoire que tu veux que je te lise. Allez !... une histoire, c'est bon ? Ah, c'est toi qui me la lis ! D'accord, allons-y ! Des bisous ? Plein de bisous. A Gabrielle aussi. Le cartable et les tickets de cantine ? Roulez ! Dormir, dormir, dormir... Avant, prendre une douche, je dormirais mieux, en repensant à ces journées, ça me tiendra chaud... Quand je mets mon linge au sale, je trouve dans mes poches, plein de petit papiers écrits vite fait. Je repart, tout nu, vérifier dans ma veste. Il y en a d'autres ; nombreux. J'ai trouvé deux tas de petits papiers près de mon ordinateur. Je les survole rapidement. Je suis surpris, intrigué,aussi, mais absolument crevé. Alors en puisant dans mes dernières réserves d'énergie, sans bien comprendre ce que je fais, je recopie.
«Une jeune inconnue m'aborde, ce dimanche après-midi à Métalu. Elle me tend un papier. Je lis : «Je suis Diane. Nous avons parlé ensembles plusieurs fois aujourd'hui. Tu ne t'en souviens pas parce que j'ai ce pouvoir – ou cette malédiction - qui fait que les gens m'oublient au bout de quelques secondes. Quand tu relèvera la tête, cette femme devant toi, ce sera moi, Diane». pendant que je recopie ce texte, tout excité par cette étrange histoire, Diane, assise devant moi chante très fort «Inutile de copier ça !! Inutile de copier ça encore et encore !! Inutile ! Inutile, inutile !! Inutile de copier !!». Elle tambourine la table. Elle ne veut pas qu'on l'oublie. Je pense qu'elle en rajoute un peu. Mais quand je l'ai regardée, je ne me souvenais pas de l'avoir déjà vue, c'est vrai. 15h00» «Une inconnue, jolie, l'air courroucée et las, me prend brusquement le papier que je recopiais et me le montre avec insistance. Je le lis puis je lis le texte qui est sur la table devant moi. C'est le même texte ! C'est moi qui écris ! Mais alors c'est donc vrai ! C'est Diane qui est là ! 15h15» «Diane m'affirme qu'elle m'a parlé il y a dix minutes et qu'elle m'a aussi parlé de nombreuses fois hier, et des notes trouvées dans mes poches le prouvent. Au moins, pour aujourd'hui. C'est elle qui m'a dit de prendre des notes, parce que c'était le seul moyen pour moi de me souvenir d'elle. «Me souvenir» n'est pas tout à fait le terme qui convient, parce qu'au moment où je relèverai la tête, je l'aurai totalement oublié. L'oublier ? Impossible ! Elle est tellement merveilleuse ! Je trouve de nombreux petits papiers chiffonnés dans toutes mes poches. Je les lis. C'est extrêmement troublant d'avoir tout oublié ! Quand je relève les yeux, il y a, assise devant moi, une jeune fille brune, petite, menue, fabuleusement jolie et souriante. Elle porte un chapeau excentrique. Il faut oser se balader comme ça ! C'est une apparition ! Mon coeur s'affole, je suis en train d'en tomber raide dingue amoureux ! Amoureux de l'inconnue qui passe. Elle me regarde et me sourit droit dans les yeux ! Le coup de foudre ! Comme dans les films ! Et moi, je ne peux pas m'empêcher d'écrire tout ça, avec elle en face de moi ! J'allais lui demander en bafouillant, si elle n'avait pas vu la jeune femme qui était assise à sa place, il y a quelques instants, mais je reste muet, en contemplation, et j'oublie tout le reste. Elle cesse de sourire et part sans dire un mot, l'air peinée. Pourquoi !! L'esprit, le coeur et la braguette en vrac, le corps en feu, je replonge le nez dans mes écritures... J'ai lu et j'ai compris. Si j'essaie de la chercher, j'oublierai vite ce que je cherche. Je ne sais déjà plus quelle tête elle a ! Je sais juste que je l'ai perdue, qu'une partie de mon être va disparaître de ma mémoire. C'est dégueulasse ! Steu m'invite à boire un coup... Je veux bien un jus de fruit. Ça fait super longtemps qu'on ne s'est pas vu ! Comment tu vas, Steu ?!» «Elle s'appelle Diane, c'est une très jeune fille, réservée, très belle, petite, brune, elle dit qu'elle est invisible au monde, qu'elle doit perpétuellement faire du bruit et de grand gestes pour qu’on la remarque, la preuve étant qu'elle m'a déjà raconté ça hier, et que je ne m'en souviens même pas. Au fêtes de Métalu, il y a toutes sortes de gens. Diane semble faire partie de la catégorie «à problèmes». Elle prétend que dès qu’elle cesse de se remuer dans tous les sens, on l’oublie. Elle insiste pour que je prenne des notes, pour ne pas l'avoir oublié à notre prochaine rencontre. Elle voit ce que j'ai écrit mais elle se contente de lever les yeux au ciel en souriant tristement. Je crois bien que cette fille dont j'ignore le nom, a de sérieux soucis dans son rapport aux autres. Elle me demande de marquer l'heure des écrits. D'accord, il est donc 15h25. D'ailleurs, le temps que j'écrive ça, elle est déjà partie. À sa place, il y a devant moi, une très jolie jeune femme brune, qui me sourit. Il semblerais que je plaise moi, cet après midi !» «Elle est tellement belle, cette fille, elle s'appelle Diane... Elle demande de raconter par écrit et scrupuleusement notre rencontre. Et d'écrire l'heure : 15h35.» «Diane a le pouvoir de sortir immédiatement des mémoires. Mais elle a aussi celui de soustraire des souvenirs de chacun, les écrits qui lui sont consacrés et le fait de les avoir écrits. Elle me demande de la photographier mais j'ai oublié l'appareil dans la voiture. Il est 15h50» «Mes poches sont remplie de papiers griffonnés. Tous parlent d'une fille : Diane. Il s'agit, semble-t-il, d'une très belle jeune femme. Je relis ces papiers dont je n'ai aucun souvenir. Mon coeur bat très fort. L'étrangeté de la situation ne devrait pas me mettre dans cet état là ! M'effrayer, me donner envie de fuir ! Certes ! Mais là, j'ai plutôt envie de pleurer. Elle est ici, je sais qu'elle est ici. Mais où ! Je ne me souviens pas de sa tête. La mienne tourne à toute vitesse. Je m'écroule sur une chaise. Une inconnue étourdissante, portant un chapeau tout biscornu, s'approche de moi en souriant. Est-ce que c'est elle ? Il est 16h30» «Heu, est-ce que c'est... toi ? Je parle et j'écris aussitôt. 16h35» «Oui, Claude, c'est moi. J'écoute et j'écris tout de suite. 16h36» «Diane ?... Je suis amoureux de toi, Diane, ces papiers raconte la vérité. Il semblerait, d'après ces même notes, que je soit de plus en plus amoureux. Comment est-ce possible ? Je suis sensé t'oublier chaque fois que je te perds de vue et je suis de plus en plus assommé à chaque rencontre. Ce n'est pas logique ! 16h40» «Si, Claude. Simplement, le tout petit bout de toi qui m'oublie à chaque fois, ça n'est pas tout «toi». Certains endroits plus «brouillons» de ton cerveau, certaines parties de ton corps se souviennent, eux, et ils crient, ils hurlent comme ils peuvent, comme des oisillons dans leur nid dont on ne voit que les becs oranges, ouverts, énormes, voraces. Ton nez se souvient, nos odeurs se sont jaugées, mélangées, elles se reconnaissent. Ta peau se souvient, ta langue, tes mains se souviennent de mes fesses, de mon cou, de mes seins, ton sexe se souvient... du mien. 16h43» «Quoi ! On a couché ensembles !? 16h45» «Ouais. 16h46» «Et je ne me souviens de rien, c'est dégueulasse ! 16h47» «C'est dégueulasse. 16h48» «Diane, tu est tellement belle, à se jeter d'un avion sans parachute ! J'ai envie de t'enlever, de m'enfermer avec toi dans une chambre barricadée ! Je t'aime, Diane, je ne veux plus t'oublier ! 16h50» «Mais tu m'oublieras, Claude. J'ai plein d'amoureux comme toi. Des amoureux qui ne se souviennent et qui ne souviendront plus de moi. Simplement, ont-il, de temps en temps, le sentiment d'un vide, une impression de déjà vu, de déjà vécu, toutes ces conneries... Le souvenir obstiné et insaisissable d'une odeur, impossible à décrire, impossible à fixer dans leur esprit. Torture douce et vite oubliée. 16h55» «Elle me donne son chapeau. Celui qu'elle a porté pendant les trois jours de cette fête. Ce chapeau est la seule manifestation de son existence. Il faudra que je cherche ce chapeau. 19h15»
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°° Bon, voilà, j'ai fini de lire cette retranscription de trois jours de notes. Je me sens bizarre, avec comme un trou dans le ventre. D'accord, un chapeau. Je dois donc retrouver ce chapeau. Je dois repartir à l'assaut de mon chaos domestique. Heureusement, finalement, que je gère mes poches de la même façon que ma maison : j'entasse. Je conserve les trucs, il sera toujours temps de voir plus tard si c'est important. Je note quelque chose, je le mets sur le tas. Ou dans ma poche. Chercher dans toute la baraque, à la cave, dans la cabane du jardin, parmi les vieux jouets des filles, dans les caisses où sont stockée leurs anciens vêtements, dans les sacs de fringues à donner au Secours Populaire... Oh !... Et si ce chapeau avait déjà été mis dans un de ces sacs ! Déjà donné ! Oh non ! Je chercherais quelques chose qui n'est peut-être plus ici ! Il faut pourtant que je cherche. Et je déteste ça ! Je déteste ça, chercher !... Peut-être que Diane habite ou a habité chez vous. Vous l'avez oubliée. Comme vous oubliez ou avez oublié pendant sa présence, l'existence de la chambre où elle dort ou a dormi. Il faut, il faut que cherche ! Il faut ! Je dois ! Quatre autres jours à fricoter dangereusement avec cette obsession un peu morbide. À la recherche d'un objet, peut-être mythique... Quatre jours vains. Je n'ai jamais retrouvé ce chapeau. Seulement quelques «bobs» hideux et trop petits, pour sortir en été et pour compléter un badigeonnage scrupuleux d'écran total. Ce chapeau a disparu, ou n'a jamais été dans cette maison, ou n'a jamais existé, simplement. Mais, de ces quatre jours hors de moi même, j'ai peut-être sauvé, par la rencontre au deuxième jour de ma folie d'un tee-shirt à moi, pas mis depuis longtemps parce que trop petit, trouvé au fond de mon tiroir à chaussettes où il n'avait, bien-sûr, rien à faire (mais c'est vrai que chez moi, cela ne signifie pas grand chose). Englouti dans ma fureur, j'ai saisi ce vêtement et je me suis mis à pleurer, doucement agité de spasmes. Je l'ai frotté sur mon visage, je l'ai respiré fort, longuement, je l'ai serré sur ma poitrine très fort, aussi. Je l'ai remis délicatement sur une étagère, plus dans mes chaussettes. J'ai refermé la porte de l'armoire et ma colère est revenue. Restait pourtant, planqué derrière ma rage, l'odeur de ce tee-shirt (c'est l'odeur de ma lessive, tous les vêtements dans mon armoire sentent comme ça !), mais, son touché si doux (c'est un vieux truc, c'est normal qu'il soit doux ! D'ailleurs, j'en ai d'autres plus doux !), mais, l'émotion intense que sa proximité faisait monter en moi... Après ces quatre jours, épuisé et quelques peu halluciné, après avoir admis que je ne retrouverai pas le chapeau, que disparu ou inexistant il était définitivement passé du coté des légendes, je me suis un peu posé. Calmé, même. Assez pour que le souvenir de cet éventuel pyjama d'un soir prenne une place suffisamment proche de la surface de mon esprit. Je cours à mon armoire. L'émotion est là, intacte. Je serre ce vêtement contre moi ! Je pleure (la tension des jours passés qui se relâche aussi, c'est vrai) Mais bien sûr ! Diane, si elle existe, a mis ce tee-shirt la nuit où elle est venue chez moi ! Il a été lavé depuis, c'est sûr... mais il porte encore sa marque. Ça n'est pas le chapeau... Mais ce tee-shirt, c'est elle ! C'est son existence, si petite, si ténue !... Ou pas. [RETOUR] |