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le kiosque

Il n’est vraiment pas beau. Tout petit, tout bouffi, avec d’énormes lunettes de myope.

Ils sont, semble-t-il, plus vieux que lui. Un homme et une femme.

A son service.

Il hurle, il éructe, il agresse, il bafouille, il postillonne. On ne comprend pas grand chose à ce qu’il dit. C’est lui le patron du kiosque à journaux.

C’est lui le patron.
Eux, tout gris, tout menus, ont toujours l’air d’être au bord d’un sanglot. La bouche tremblante et pincée, à s’essuyer le front, à surtout ne pas faire de bruit, à tenter de paraître le plus invisible possible.
Et toujours, il les vomit, comme il vomit, d’ailleurs, tous les êtres humains qui sont à sa porté. Sans que l’on comprenne vraiment de quoi il parle. Apparemment, ce qu’ils font, les vieux, ils le font mal, de plus en plus mal. Toujours ! Quand ils font quelques choses, d’ailleurs ! Toujours à se camoufler ! En faire le moins possible ! Voilà ce qu’ils cherchent ! Ils méritent sans arrêt des remontrances, des cris, des soupirs, des gémissements, d’infinis reproches. Apparemment. Les publications vendus dans ce kiosque à journaux sont souvent assez vieilles et poussiéreuses. Mis à part les quotidiens, il n’y a rien à jour. Si une personne a l’idée saugrenue de vouloir acheter un mensuel, ou un journal un tout petit peu spécialisé, le petit homme avec les lunettes lèvent les yeux en soupirant et tente de lui refiler un truc tout sale, vieux de six mois, avec un regard dégoulinant de mépris. Cette personne n’a même pas essayer de demander quoique ce soit aux deux vieux, de peur de les mettre dans l’embarras, de déclencher une nouvelle colère baragouinante et de les faire pleurer. La plupart du temps, il refusera poliment, prétextant, lâchement, une erreur, un mauvais titre, n’osant pas faire répéter au petit homme des raisons obscures et incompréhensibles. Il s’en ira, perplexe. Qu’ont-ils fait ? Les vieux, pour accepter ça. Ce sont peut-être ses parents. A la fois honteux et aimants, honteux d’avoir fait naître autant de laideur, honteux de leur honte, honteux pour le gnome, honteux pour le monde. Et d’autant plus aimants. Amour foireux. Ce sont ses parents, ils l’ont abandonné à sa naissance, parce que difforme, trop moche, lui ne le sais pas, il a été élevé dans un orphelinat, seul et rejeté par tous, ils portent cette culpabilité, ils se sont ruinés pour lui acheter, sans se faire connaître, ce kiosque, puis se sont fait embaucher, au noir, pour rien, par lui, pour survivre et continuer de le protéger, souffrants en silence, reconnaissants, affamés, avides de toutes ces humiliations. Le vieux est très malade, il sait qu’il va mourir, bientôt. Et elle aussi. Plutôt non, ce sont des bourreaux, ceux de ses véritables parents, ou des savants infâmes dont les travaux ont eu comme résultat, cet être myope et méchant. Ils sont rongés par le remord. Ou ils poursuivent simplement, in vivo, leurs terribles expériences. Ce sont eux qui le torturent, en fait ! Mine de rien. Salauds ! Le Patron du Kiosque est au courant de tout ! Et il leur fait payer. Il sait qui ils sont, que ce sont ses parents anonymes, cachés derrière leur honte, les assassins de ses pauvres parents, de toute sa famille, les ordures ! Les expérimentateurs fous désemparés devant ce qu’il ont accompli, qui ont fait de lui ce qu’il est. Tout est de leur faute. Ils n’ont pas fini de payer leur ignominie ! Il se rend odieux exprès, depuis des années, pour que, le voyant aussi mauvais, ils n’aient pas de regret, qu’ils trouvent la force de le quitter, les pauvres vieux, qu'ils trouvent enfin la paix ! Il doivent juste trouver le courage de l'abandonner, de le laisser seul avec sa laideur et sa vie inutile, au milieu de ses journaux factices. Parce que les journaux sont factices. L’affreux bonhomme myope, avec son défaut de prononciation, les a achetés, au poids, dans une brocante. Il n’en vend jamais, le kiosque est juste une couverture. En réalité, il surveille la marchande de fleurs qui est juste en face. Il est policier. La marchande de fleurs est une trafiquante internationale d'organes d’enfants. Le policier, mais je devrais dire «les» policiers sont très adroits. Ils sont plusieurs. Ils sont devenus experts dans leurs capacités de camouflage et de déguisement. Ils utilisent tous le même costume et ont tous ce même comportement de râleur rabougris et méprisant envers les clients, et surtout envers les deux pauvres vieux, qui ignorent tout, les malheureux. Pour qu’ils ne s’attachent pas, qu’ils ne posent pas trop de questions. De toutes façon, ce déguisement, si parfais, par ailleurs, empêche les policiers de parler correctement. C’était donc ça ! Mais les vieux s’attachent. Leur ignoble patron pourrait être leur fils abandonné depuis si longtemps et volé par la fausse fleuriste pour être revendus à un couple de savants dévoyés afin qu’ils pratiquent sur son pauvre corps leurs sinistres dépravations, après avoir massacré ses parents. Justement. La fausse fleuriste et le faux marchand de journaux s’épient mutuellement sous le regard amusé des deux agents internationaux déguisés en vieux parents/employés modèles/savants fous.
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