(Égaré . la grand-mère)
Lyvie
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cage

Jean-Louis est un garçon plutôt étrange. Son jeune frère était dans ma classe au collège et j'ai continué de le voir, plusieurs années après. Ça n'était pas celui né après lui, qui était Gilles, ni celui d'après, qui était une sœur, Maryline.

Ni celle d'après qui était aussi une sœur, Solange, c'était celui d'après, Denis. Cette famille comptait six enfants. Le plus jeune s'appelait Thierry. Ils étaient tous très gentils et généreux. Équilibrés. Stables. Sans histoire.

Ça ne se voyait pas tout de suite mais une série d'indices laissait, malgré tout, flotter quelques doutes. Le père était instituteur, un peu «vieille école», très correct, très droit, de maintien et de caractère. Il était végétalien strict, adepte des théories de H.G. Geoffroy, créateur du «La Vie Claire» de la première époque, où était exclus des boutiques, œufs et laitages, où toutes protéines animales étaient proscrites. Entre chaque enfant, il n'y avait qu'un an de différence. Ils avaient été conçus régulièrement et sans répit jusqu'à six.

Jean-Louis avait été confié, dès sa naissance, à des «amis» très chers de la famille, sans enfant, puis élevé par eux. «Parce qu'ils avaient été très gentils et qu'ils avaient rendu à ses parents, de nombreux services» disait Jean-Louis. Tout ceci se passe près de Givet, dans les Ardennes profondes. Quels services suffisamment importants avaient pu être rendus pour que le paiement, exorbitant, soit le premier né d'un couple ? Pour aider, momentanément, un jeune ménage en difficulté financière ? C'est toujours ce que Jean-Louis prétendait. Comment un appel à l'aide peut être l'équivalent d'un remerciement ? Comment croire à cette version simple ? Surtout quand surviendront tant d'autres événements si particuliers concernant cette famille ?

Le nom de famille de Jean-Louis n'était pas orthographié comme ceux du reste de la famille.

Jean-Louis G------C-.
Il était le seul à porter son nom écrit comme ça. Erreur de l'employé de mairie ? Erreur du déclarant trop ému ?

Gilles, Maryline et Solange G------S-.
Une deuxième orthographe fut celle des noms de Gilles, Maryline et Solange, différente de celle du nom de Jean-Louis, mais aussi de celle du nom de leur père. Où leurs naissances ont-elles été déclarées ?
Denis et Thierry G------Z-.
Les seuls à s'appeler entièrement comme leur parents, avec la même orthographe, étaient Denis et Thierry.

Un seul père, un seul patronyme, trois orthographes.
Cette famille devait être éparpillée, perdue...

Jean-Louis côtoya tout de même, mais d'assez loin, ses parents biologiques mais, vers sa vingt-deuxième année, après ses études, il choisit de venir habiter avec eux et ses frères et sœurs. Il adorait jouer du piano mais, uniquement, du Boogie-Woogie voir «un» Boogie-Woogie. Improvisé. Ses parents louèrent un piano. Il avait une maîtrise de philosophie mais il s'était arrêté là. Parce qu'enseigner ne l'intéressait pas et parce qu'un doctorat, c'était trop de boulot. Alors il se laissait vivre. Il lisait beaucoup, il allait dans les bars. Et il jouait son Boogie-Woogie. Thierry, un mois plus tard, sans avoir jamais approché un instrument de musique, su, comme son grand frère, parfaitement improvisé du Boogie-Woogie sur le piano. Il était même très rapide et inventif. En se relayant (pas toujours pacifiquement) Jean-Louis et Thierry improvisaient des marathons de Boogie-Woogie, toujours renouvelé, toujours surprenant, même pas lassant. Ce qui est loin d'être évident avec du Boogie-Woogie.

Rapidement, Jean-Louis se trouva une copine un peu plus jeune que nous (ce qui nous laissaient, Denis et moi, vaguement jaloux. Nous, qui étions plutôt célibataires, à l'époque). Elle s'appelait Nadia, elle avait dix-sept ans. Elle était très jolie et un peu junkie. Elle semblait, en dépit de l'héroïne, plus-que-vivante, la tête pleine d'idées de conneries rigolotes à faire. Elle était toujours fourrée avec nous, à picoler, fumer des pétards, prendre des acides... Mais elle n'a, hélas pour nous, toujours fréquenté que le lit de Jean-Louis. Lui, restait toujours très digne, nous ayant défini comme gosses turbulents, plaisants parfois, certes, mais définitivement trop bruyants. Dans sa pile de bouquins, nous avions trouvé, Nadia, Denis et moi, «La Philosophie dans le boudoir» de Donatien-Alphonse-François, Marquis de Sade. Et nous de rigoler comme des tordus : «C'est vraiment dégueulasse ! Il était vraiment barge, ce mec !...», et de lire le bouquin tout haut, joué avec des voix masculines et féminines, hilares et «avec le ton», très en forme. Jean-Louis était parti se coucher, écœuré, disait-il, par notre bêtise et notre manque absolu de lettres et de culture. Vexé aussi, sans doute, par notre grande complicité rigolarde avec Nadia, vexé de son incapacité, finalement à la faire rire et à rire lui-même. Ils nous criaient du fond de son lit, que Sade était un immense écrivain et que nous étions, nous, bien trop vains pour y comprendre, un jour, quelques choses. Nadia était belle. Belle, joueuse, câline et un peu cinglée. Deux ans plus tard, bien après sa rupture avec Jean-Louis, celui-ci appris qu'elle s'était jetée dans le vide du toit des Galeries Lafayette.

Jean-Louis avait plein d'histoires bizarres à raconter. Parmi celles-ci, celle de Lyvie, connue dans sa région des Ardennes comme un peu sainte, un peu sorcière, guérisseuse, voyante... Elle eu, un jour de ses 65 ans, la vision qu’elle allait bientôt mourir. Elle décida donc de se faire fabriquer un cercueil à ses mesures et selon ses goûts. Elle empoisonna la vie du fabricant de cercueil en changeant sans arrêt d'avis sur les essences et les couleurs de bois, sur le métal du crucifix cloué dessus, sur toutes les épaisseurs possibles de capiton, sur ses couleurs, sur l'oreiller, sur le suaire... Mais elle payait toujours, alors... Elle l'essaya plusieurs fois, demandant au fabricant, de plus en plus incrédule, des retouches. Elle voulait être à l'aise. Beaucoup plus tard, elle demanda à Jean-Louis, qui avait alors douze ans, de donner son avis sur le cercueil. Celui-ci lui assena des jugements tranchés, qui avaient le goût du «très-pensé» et du «absolument-sûr-de-lui». Il déclara que la couleur du capiton devait être changé, l'épaisseur, légèrement diminuée, pour les «grosses chaleurs» et l'oreiller avec sa taie, définitivement exclu, au profit d'un coussin brodé tout exprès. Impressionnée et flattée, elle se rangea a son avis et, fière d'elle, fis refaire son cercueil. Jean-Louis était adroit. Il savait que s'il lui disait que tout ceci n'était que délires séniles, il risquait des reproches pour des mois, voire pour des années. Il risquait aussi d'être déshérité, puisque la seule famille qui restait à Lyvie qui «avait du bien», était la «mère adoptive» de Jean-Louis. Au moment où il me raconta cette histoire, Lyvie était encore vivante, elle avait 102 ans. Une voyance, donc, plutôt ratée. Aujourd'hui, je ne vois plus Jean-Louis. Je ne sais pas ce qu'est devenue Lyvie. Cette même soirée, j'ai appris qu'elle avait fait entreposé son cercueil chez elle et qu'elle l'essayait une fois par semaine. Elle pouvait avoir changé de corpulence ou de taille... Qui sait ? Et elle voulait être à son aise. Elle le faisait re-vernir régulièrement, faisait démonter, nettoyer puis remonter les garnitures, par le patron des pompes funèbres qui s'était habitué, finalement, puis par son successeur mis au courant... Jean-Louis, ça le faisais rigoler, mais pas tant que ça. Il éprouvait une sorte de crainte respectueuse pour cette femme. Sa maîtrise de philosophie et son matérialisme convaincu était une chose, la «réalité» des pouvoirs héréditaires de certaines personnes, notamment dans les «Ardennes profondes», en était une autre. Il avait pu récupérer la taie d'oreiller, finalement assez peu sophistiquée, que cette femme avait imaginée, dans un premier temps, pour son cercueil. Il a bien voulu me céder cette taie. Cette histoire m'amusait trop. J'étais plutôt jeune, à cette époque, et je n'y voyais que de la simple connerie plouc et un peu attardée. Je ne fus sensible que beaucoup plus tard, après d'autres discutions, après d'autres aventures, aux aspects malsains, «vampire» de ce comportement.

Jean-Louis me demanda un jour, si j'avais remarqué que son père était perpétuellement en «légère» lévitation.

«Hein !! Non, là, tu déconne ?»

«Non, non. Si tu l'observe bien, tu verra qu'il effleure à peine le sol. S'il montait sur un pèse-personne, je suis sûr que son poids serait nul.»

«Si tu le dis...»

Jean-Louis qui passait son temps entre son piano, ses bouquins et les bistrots, sans voir grand monde, finalement, mis à part les deux ou trois copains de Denis, se ramollissait certainement du cortex.

«Tu sais, la mère de mon père, morte aujourd'hui, ma grand-mère donc, était aussi considérée comme un peu sainte, un peu sorcière, guérisseuse, voyante... Les gens venaient de loin pour la voir, pour l'écouter, pour être sauvés, pour être guéris... Mon père pense même parfois, que s'il n'a jamais connu le sien, c'est parce qu'il n'en avait pas, que sa mère s'est retrouvée enceinte par on ne sait quelle opération...»

«Ouh là ! Jésus est de retour, il a six gosses et il est instituteur dans une ZUP !»

«Rigoles pas avec ça Claude, ça peut être dangereux...»

«...»

Ce jour là, j'ai pris conscience que cet homme si droit, si intègre, si «équilibré» devait avoir une grande part dans les aspects un peu «fantaisistes», perdus, de cette famille.

Le père.
Instituteur dans une école assez défavorisée et violente. Aujourd'hui à la retraite, végétalien donc. Pour lui, le bonheur résidait dans une alimentation saine, dans le grand air et dans l'exercice physique. C'est ce qu'il m'a dit quand Denis s'est retrouvé enfermé dans un hôpital psychiatrique : «Je suis sûr que Denis mange n'importe-quoi. Il se couche tard et ne dors pas assez. De plus, il fume ; c'est nuisible à la santé, et je crois bien qu'il ne pratique aucun sport... S'il avait une vie plus saine, rien de tout cela ne lui serait arrivé, j'en suis certain...».

«Je suis un pur esprit, je ne mange, si je mange, que des fruits, des graines et des racines. Aucune partie de cadavre ne me constitue.

Le corps, puisqu'il faut bien le supporter, doit être dressé, maté.

Ne pas fumer, ne pas boire d'alcool, courir au grand air, ne pas rester dans des endroits confinés, favorisant la promiscuité et la consommation de produits malsains»

Ceci est un résumé un peu «guignol» de la pensée du bonhomme, c'est certain, mais je ne pense pas vraiment trahir cette pensée. Sa vie, aujourd'hui, est certainement un enfer, une potion amère qu'il se doit de boire jusqu'au bout, résigné et sans faiblesse.

La mère.
Discrète et omniprésente. À la maison, chargée des corps et de l'intendance. D'après ses enfants, elle fut, dans ses jeunes années, d'humeur enjouée et curieuse, attirée par les Arts, le théâtre et toutes ces sortes de choses... Je ne l'ai connue que fatiguée et recluse dans sa cuisine, son jardin. Au service des hommes. Y compris de ses fils. Totalement épuisée, désespérée mais tenace quand, déjà âgée, elle du, à nouveau s'occuper de ses enfants adultes revenus chez leurs parents, et de ses petits enfants, en plus.

Jean-Louis.
Après sa maîtrise de philosophie, il a traîné plusieurs années dans la maison familiale, bien au chaud dans ce triangle, piano, bouquins, bistrots.

Puis, un peu poussé par ses parents, il a passé un concours administratif, à la SNCF. Il est parti s'installer à Paris. Il a survécu plusieurs années à vaguement bosser dans un bureau et à vivre dans un meublé. Entre les bouquins et les bistrots, un piano n'étant pas compris dans les meubles de sa chambre. Puis, la SNCF proposa une somme d'argent qui lui parut conséquente, contre une démission. Les syndicats, à cette époque, hurlèrent contre ce marché de dupe et contre ces licenciements maquillés. Mais Jean-Louis s'engouffra dans cette opportunité qui lui semblait tout à fait acceptable, à l'époque, alors qu'elle ne lui laissait qu'une petite vingtaine de mois d'autonomie sobre. Dans les bouquins et dans les bistrots. Aujourd'hui, il fait au coup par coup, des enquêtes ou des sondages dans la rue ou au téléphone, il teste des médicaments ou des cosmétiques. Il vit toujours dans un meublé.

Gilles,
dans ses études, a échoué au brevet, en troisième. Il s'est retrouvé apprenti chez un garagiste, a fait son service militaire puis, a fait les trois-huit dans une usine, à Marseille. Après deux ou trois ans, il est revenu habiter chez ses parents. Cela coïncidait, à peu près avec le retour de Jean-Louis. Gilles ne jouait pas de piano, ne lisait jamais, aimait fréquenter les bistrots. Il travaillait parfois un petit peu, pour avoir de l'argent. Un petit peu. Il est retourné à Marseille, puis est revenu chez ses parents. Après plusieurs départs dans d'autres villes, suivis d'autant de retours à la maison familiale, il s'est rapidement imposé des règles de vie inquiétantes pour son entourage (ses copains de bistrots), et effrayantes pour ses parents. Tout : Dieu, le destin, la chance, la malchance... se trouvaient codés dans les nombres auxquels il était confrontés. Tous les nombres qu'il croisait, notamment, les plaques d'immatriculation de voitures, les numéros des maisons dans la rue, les numéros des routes, les dates, les nombres inscrits à la peinture ou à la craie, sur les murs ou sur les trottoirs, devenaient signifiants. Il finit par régler l'intégralité de sa vie sur ces nombres rencontrés. Un exemple : au matin, en sortant de chez ses parents, la première voiture qui passait, avait un numéro d'immatriculation qui lui signifiait d'attendre une autre voiture portant une plaque lui indiquant qu'il devait partir dans telle ou telle direction, s'arrêter à la première corbeille à papier croisée, fouiller dedans, trouver une inscription mentionnant un autre nombre (poids net sur un emballage, pourcentage de matières grasses...) qui lui ordonnait de prendre tel autobus, de s'arrêter à tel arrêt, d'aller à tel numéro de la rue, de sonner à la porte, de demander à la personne qui lui ouvrait quel était le message qu'elle avait à lui délivrer... Ces escapades se sont souvent terminées par l'intervention de la police, et rapidement en hôpital psychiatrique. Abruti de médicaments, suivant de vague thérapies, il est sorti parfois, avec un traitement, puis est rapidement retourné à l'hôpital, toujours, et de plus en plus esclave de ses nombres. Je ne sais pas quelle est sa vie, aujourd'hui.

Maryline.
Tout en ayant été un copain de Denis pas mal de temps (de la quatrième à au delà de la terminale pour ce qui est de la période où il habitait chez ses parents), j'ai très peu vu ses sœurs. Maryline comme Solange restaient recluses dans la cuisine, avec leur mère, quand Denis et ses copains étaient là, du moins. Timidité maladive envers les hommes (de treize ans à l'époque !), les étrangers ? Ou nécessité impérieuse faite aux femmes de rester «à leur place», attachées au fourneaux quand des hommes étaient présents ? Je n'ai presque jamais entendu le son de sa voix. Ni celle de sa sœur ; dans mes souvenirs, elles se confondent, d'ailleurs. Quand je côtoyais leurs frères, je ne les distinguais pas, déjà. Maryline a passé un CAP de comptable, l'a eu et travaille aujourd'hui. Elle n'a, semble-t-il, toujours pas d'amoureux ou d'amoureuse, mais elle a son propre appartement. Elle revient, néanmoins, plusieurs fois par semaine, dans la maison de ses parents, pour aider. Dévouée et invisible.

Solange.
Non vraiment distinguée de sa sœur, Solange n'a elle, ni appartement, ni boulot précis. Un peu plus de la moitié de son temps se passe en hôpital psychiatrique. Elle souffre de dépression profonde. Elle est gavée de médicaments et doit peser entre 110 et 120 kilos, malgré ses 1,55 mètres.

Denis.
Denis était mon copain. Il ne l'est plus vraiment. Plus il vieillit, plus il est immature et crétin, plus il se comporte en adolescent encombré dans une puberté un peu obscène. Denis était très brillant, très intelligent. Je me souviens qu'en quatrième, il a réussi à refaire le «Rubik's Kub», à tous les coups, au bout de trois semaines, bien avant que des journaux spécialisés se vantent d'avoir trouvé la solution et la publie. Denis a passé le CAPES et l'agrégation de Math et a obtenu les deux trucs du premier coup. Il se passionnait pour la micro-informatique. A l'époque, je le voyais très peu. Je lui avais demandé de ressortir sa batterie pour faire de la musique avec moi. J'ai appris, à ce moment, qu'il se sortait juste d'une dépression nerveuse qui s'était révélée avec force, après trois jours seulement d'enseignement. Il venait juste, aussi, de terminer un jeu à énigme sur son Apple II, vieux machin du début des années 80, avec son écran noir, ses lignes de code, ses 64 Kbit et ses disquettes en carton. Tous les soirs sur son truc, depuis des semaines, il était allé au bout de son jeu et il en avait terminé, pour un temps, avec le virtuel. Là, c'est comme si il s'était réveillé ; il venait de réaliser qu'il vivait avec une femme, Pascale, très moche, un peu demeurée mais docile et disponible comme ses sœurs, qu'il avait un petit garçon de trois ans et une petite fille de quatre mois, qu'il était parti pour bosser jusqu'à sa retraite face à des classes de mômes réels, vivants, turbulents et sans aucune indulgence.

Trois jours de collège puis directement à l'hôpital, blindé de neuroleptiques.

C'est quelques temps plus tard, pendant sa convalescence, que j'ai refait de la musique avec lui. La fois d'avant, nous avions 16 et 17 ans. Ce Denis est le même que celui évoqué dans la peintécriture «Jean-Luc : Père-Éros en pleine forme».

Un peu plus tard, Pascale le plaquait pour un neuneu rencontré dans une discothèque. C'était la première fois où qu'elle ressortait toute seule. Elle est juste passée prendre ses affaires en lui laissant les deux gamins. Denis qui n'avait jamais vécu seul, qui ne s'était jamais occupé ni de ses enfants, ni de lui-même, dans le quotidien de l'entretien, des repas, des fournitures diverses, laissa l'entropie s'installer dans son appartement, à toute allure, il nourrissait ses gosses, mal, ne les lavait pas, oubliait de changer le bébé et d'emmener son fils à l'école, ne rangeait rien, ne jetait rien. Il appela sa mère qui décida, cette fois là, qu'il était temps qu'il se débrouille. Elle lui répondit que, ne travaillant pas pour l'instant, il était disponible toute la journée pour sa fille pendant que son fils était à l'école - «Ah, il va déjà à l'école ?» - Il fit appel à Alain, mon frère, pour qu'il vienne le sortir de là, en le payant. Alain alla chez lui deux ou trois fois pour décrasser son appartement et ses mômes, retrouver du linge très sale dans le tas d'immondices, jeter les trucs pourris. Mais deux semaines plus tard, Denis se retrouvait à l'hôpital, en chambre capitonné. Et les enfants chez ses parents. Denis fut bombardé de médicaments. Trois mois plus tard, Pascale ayant trouvé un studio avec son nouveau mec, voulu récupérer ses gosses et les emmena vivre avec elle. Pas bien longtemps puisque son nouveau jules, complètement alcoolo et allègrement suivi par Pascale dans cette occupation, était régulièrement ramassé par des flics et juger par des juges qui finirent par mettre leur nez dans ce studio «catastrophe». Cinq mois s'étaient passés. Denis était toujours dans un monde parallèle, à l'hosto, les gamins, pris, de temps en temps, vaguement en charge par des voisins ou par les parents de Pascale, partaient complètement en vrille. Un juge pour enfants décida de placer les enfants qui atterrirent à nouveau chez les parents de Denis, à leur demande. Pour plusieurs année cette fois. De temps en temps, en visite chez leur mère, de temps en temps, en visite chez leur père, pour les vacances.

Thierry.
Il était passionné par la pêche à la ligne. Il fut placé après sa deuxième cinquième, dans une section spécialisée pour élèves en échec scolaire. Comme il avait déjà quinze ans, il sortit du système scolaire au jour de ses seize ans et fit des petits boulots : distributeur de réclames pour les adoucisseurs d'eau dans les boites à lettres, manutentionnaire dans des supermarchés... Toujours jovial, hilare. Il jouait du Boogie-Woogie, laissa prospérer un couple de cochons d'Inde dans le jardin des ses parents et eu bientôt vraiment beaucoup, beaucoup de cochons d'Inde. Il allait à la pêche et laissait nager «librement» ses prises, gardons tanches, perches et brochets, dans le bassin à poissons rouges du même jardin. Avec tout son matériel, il allait souvent pécher dans un étang privé où il devait payer un forfait à la journée. Il essayait de lancer sa ligne le plus près du centre de cet étang. C'est là que devaient se trouver les plus gros poissons, les poissons les plus beaux. Il essaya un jour, sans équipement, de s'en approcher en marchant sur le fond boueux, ce qu'il attrapait, il le mettait dans ses poches de manteau et de pantalon. Il rentra chez ses parents, trempé et très sale. Un autre jour, il débusqua une vielle barque un peu pourrie à coté de son trou de flotte, l'a remis à l'eau, tenta de se diriger, avec ça, toujours, toujours plus près du centre de la mare. Il s'y noya.

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