les Entreperdant |
fils | fille | père | mère | grand-père | grand-mère |
![]() haut de page Tout petit, très brun, avec une voix de klaxon
italien. Il passe la tête à la porte du magasin et il
brame :«Bonjour Copy 2000 !!». Les
employés
de l’agence sursautent, parfois, ils lui répondent, d’un
sourire agacé, d’un signe de tête. Il reste là
un court moment, ne trouve rien d’autre à dire et s’en va.
Il travaille dans une boutique, un peu plus bas dans la rue, qui fait
du tirage de plan. Il fait les courses. Dans la rue, dans le
métro,
à son travail, à n’importe quel moment de la
journée,
dés qu’il croise quelqu’un de l’agence, il hurle
« Bonjour Copy 2000 ! !». Un jour, il n’est
pas venu habillé comme d’habitude. La veille, on lui avait
demandé de garder la boutique pendant une heure. Il avait un
costume, voyant, pas très seyant, mais un vrai costume. Avec
une cravate. Large, bariolée. Sur le trottoir d’en face, il
a aperçu quelqu’un, il a crié : «Bonjour
Copy 2000 !!». Il est allé travailler,
habillé
comme ça, pendant un ou deux mois, le costume s’est
dégradé
inexorablement puis il est revenu, habillé comme avant.
La
fille
Dans une vielle R5 toute sale, elle arpente les rues de cette petite ville de banlieue, à l’affût, prête à déverser sa rancœur et ses frustrations sur le premier venu. Si par bonheur, comme c’est le cas ici, un autre automobiliste vient à effleurer son pare-chocs, une jubilation, une jouissance faite de cris et d’insultes semble envisageable. «Bon, maintenant le trou du cul, tu descends de ta caisse pourrie et on fait un constat ! C’est compris, ducon !». L’automobiliste visé, un peu abasourdi par tant d’agressivité, descend de sa voiture. Il s’aperçoit qu’elle est toute petite, deux têtes de moins que lui, et que, peut-être, ça doit venir de la, tant d’aigreur concentrée. Il s’approche de la R5 et se prend une nouvelle bordée d’injures : «t’aurais bien voulu te casser comme ça, hein grosse pédale !». L’entourage s’en mêle. Il y a toujours dans ce genre de cas une tartine de témoins près à jurer n’importe quoi, qui ont tout vu, qui redisent encore et toujours qu’il n’y a qu’à faire un constat. A ce moment, au milieu des insultes, des hurlements et des contributions spontanées des passants et commerçants environnant, l’automobiliste perd un peu son calme, va voir de près le pare-chocs de la R5. Il s’aperçoit qu’il n’y a aucun signe visible de cet effleurement, mais déclare qu’il est près malgré tout à faire le constat de ce «rien du tout» sur le pare-chocs, qu’il n’admet pas vraiment d’être tutoyé, encore moins d’être perpétuellement insulté. Il déclare également qu’il n’a pas de constat amiable dans sa voiture. La conductrice de la R5 qui n’en a pas non plus, conclu sa rage avortée par un «Vas-y, casse-toi enflure ! Allez ! Casse-toi ! J’en ai marre de voir ta sale gueule !». L’automobiliste qui ne veut pas prendre le risque d’abîmer «une aussi petite chose» reprend sa voiture et s’en va.
C’est une figure incontournable des festivals d’été de musiques inattendues, rarement entendues, un peu expérimentales. Il est toujours habillé en rouge, c’est le porteur de toutes les nouvelles, potins, rumeurs empoisonnées de tous ces festivals d’été. Il se fait appeler Acétone, image d’un solvant universel. Celui qui dissout les vernis tenaces, les peintures écaillés, les masques, les hypocrisies, les faux-semblants ; comme un super héros de bande dessinée. Son credo : tout est corrompu par la facilité, par la tentation du «commercial» et puis, c’était mieux avant. Il trouve toujours le moyen de se glisser dans toutes les conversations, ayant bien sûr toujours des éléments ayant un rapport, même vague, avec toutes les conversations possibles. Ceux qui le connaissent se moquent gentiment de lui en feignant de trouver de l’intérêt à ses «confidences» puis trouve un prétexte pour partir, vite. Ceux qui ne le connaissent pas sont un peu effrayés. Il a toujours avec lui une batterie des derniers instruments miniatures de prise de son, à la pointe de la technologie, pour réaliser des «pirates» assez peu vendables des concerts du festival. Exécutés par des musiciens qu’il dénigrera peu de temps après. Son matériel ne marche jamais comme il voudrait. Ça l’énerve ; il s’arrange pour que tout le monde le sache.
Elle n’est pas très grande, avec des lunettes ; c’est peut-être pour ça que personne ne la remarque vraiment. Pourtant, elle parle très fort et s’agite de même. Dans cette réunion qui essaie d’être la plus efficace et la plus rapide possible, tout le monde s’affaire et se propose pour prendre en charge les tâches diverses. Elle s’évertue à distribuer les rôles, à donner des conseils à chacun. Tout le monde lui sourit et poursuit sa course sans faire réellement attention à son discours perpétuel. Un peu essoufflée, elle finit par accepter la distribution spontanée et un peu anarchique du travail. Elle décide même, que les choses se passent le mieux possible et que c’est elle, finalement, qui est l’origine de cette si belle organisation. La réunion est terminée et elle repart contente. Toujours. Elle fait partie de toutes les associations possibles. Elle a un agenda définitivement débordant ne laissant, semble-t-il, aucune place à une quelconque vie privée.
Le grand-père Environ la cinquantaine. Les cheveux entièrement blancs coiffés en brosse. Le visage carré, sévère. Les lunettes carrées. Quelle chance ! A cinquante deux ans, après une période à l’ANPE, le voilà recruté par un chasseur de tête et embauché comme Cadre dans cette grande société aux multiples succursales sur presque toute la France. Il a passé une bonne partie de sa carrière comme Agent de Maîtrise dans une boîte qui vendaient des automobiles et qui a du procéder à des ajustements de personnel (pour la bonne santé de l’entreprise). Il faisait parti de la charrette, donc, mais maintenant c’est fini ; le voilà promu Cadre supérieur et Responsable commercial de toute la région parisienne. Différentes boutiques, sous cette enseigne, offrent des services de reprographie et d’imprimerie. Les seules photocopieuses qu’il ait jamais vues sont celles de son ancien bureau, c’est à dire de toutes petites photocopieuses. Les grosses machines qui plient, agrafent, trient, relient, intercalent d’autres documents et numérotent automatiquement les pages l’ont un peu surpris au début. De même que la présence de micro-ordinateurs destinés à autre chose qu’à la comptabilité. Mais il se sent à la hauteur de la tâche ! Même si pendant six mois, ses visites ont été accueillies avec méfiance (l’œil de Moscou) voire avec malveillance - des explications totalement erronées et fantaisistes lui était données sur la fonction et le fonctionnement des machines - il gardait confiance dans sa bonne étoile. Ou plutôt dans son autorité naturelle et ce profil de gagneur que les patrons de cette grande société ont su enfin voir en lui. Il passe régulièrement dans chaque magasin, fait des remarques sur le rangement et la propreté, contrôle la, puis déclare qu’il va tourner un peu dans le quartier pour étudier la concurrence. Ce qu’il ne sait pas, c’est que cette grande société prépare une faillite frauduleuse, que son embauche fait partie du plan, son salaire aussi, qu’après le dépôt de bilan, la plupart des employés seront virés et lui aussi, et que ces «six mois» resteront les seul six mois de «gagneur» de sa vie. Il est dur, à plus de cinquante ans, de dire à un employeur qu’une entreprise a fait faillite six mois après son arrivée. Elle est « Responsable de la Communication » pour une grande « maison » ayant de multiples ramifications. En fait, une chaîne de magasins. Cette grande entreprise est née du rachat par quelques investisseurs aventuriers et rapaces de plusieurs petites boîtes remises toutes sous la même enseigne. L’image de la grande société, constituée un peu négligemment, est franchement ringarde. Cette image est sans doute le dernier souci des propriétaires qui sont juste là pour faire du fric, vite. Cette « com. » un peu bancale doit être corrigée. C’est son combat, sa mission. Elle va créer un journal interne avec des carnets roses et blancs, des reportages sur des nouvelles techniques, des présentations de boutiques, son matériel et son personnel ; mais personne ne le lira. Elle va créer un journal pour la clientèle mi-informatif mi-publicitaire à laisser sur le comptoir et supprimé bientôt par la direction. Trop cher et inutile. Elle va lancer des petites notices explicatives que les commerciaux devront utiliser et distribuer, mais elles moisiront dans les arrières-boutiques des magasins avant de terminer leur existence à la poubelle. Méprisée par la direction, agaçant et rendant méfiant les employés par son faux enthousiasme, par son dynamisme trop professionnel, elle reste, étonnamment, toujours de bonne humeur. C’est son métier qui veut ça. C’est le dernier emploi de sa carrière bien remplie, elle va prendre sa retraite. A cette occasion, elle organise un « pot de départ » et le signale à grand renfort de mail et de coups de téléphone. Elle a fait venir des boissons, des petits fours… Mis à part ses voisins immédiats de bureau, personne ne viendra. |